Inventorier l'archive. La fonction mémorielle de la description de photographies chez Perec et Modiano

Inventorier l’archive
La fonction mémorielle de la description de photographies chez Perec et Modiano 
 

 

Des photos de famille, le dimanche, à la campagne, avec le grand frère, la petite sœur, le chien. Des photos de jeunes filles. Des photos de copains, dans la rue. Des sourires et des visages confiants dont l’anéantissement nous fera éprouver jusqu’à la fin de nos vies une terrible sensation de vide. Voilà pourquoi il nous arrive, par moments, de ne plus nous sentir tout à fait présents dans ce monde qui a tué l’innocence[i].

Patrick Modiano, Avec Klarsfeld, contre l’oubli

 

L’Histoire, « avec sa grande hache » comme l’écrivait Georges Perec[ii], tient lieu de réponse aux questions à propos de ses parents : « la guerre, les camps » (W, 17). Né en 1936, Georges Perec devient orphelin de père quand Icek Perec meurt au combat en 1940 et orphelin de mère lorsque cette dernière est déportée à Auschwitz en 1943, après avoir envoyé l’enfant en zone libre pour le protéger. « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance », écrivait donc Perec (W, 17); « L’on n’avait pas à m’interroger sur cette question. Elle n’était pas inscrite à mon programme. […] [U]ne autre histoire, la Grande, […] avait déjà répondu à ma place » (W, 17) Dans W ou Le souvenir d’enfance, l’entreprise autobiographique se trouve entrecroisée d’un texte aux apparences de fiction et qui constitue en réalité une allégorie du système concentrationnaire, véritable réponse à cette absence de souvenirs d’enfance. C’est cette question de la mémoire à propos de l’Occupation qui unit W ou Le souvenir d’enfance, de Perec, et Dora Bruder[iii] de Patrick Modiano[iv], où le narrateur mène une enquête biographique à propos d’une jeune fugueuse, dont il a lu l’avis de recherche dans un journal parisien datant de la Seconde Guerre mondiale : « On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans », description physique, habillement, coordonnées des parents (DB, 7). Or, autant chez Perec que chez Modiano, les interrogations sur le sort et l’identité de Dora Bruder et d’Icek et Cyrla Perec appellent une réponse détournée – oblique, dirait Philippe Lejeune[v] – qui passe notamment par la description, méthodique ou non, de photographies[vi]. Ainsi, de même que Perec ne parvient pas à raconter avec précision ses souvenirs d’enfance – la critique a d’ailleurs soulevé plusieurs incohérences et inexactitudes dans son récit –, l’enquête du narrateur modianesque échoue à retracer la jeune Juive, à déterminer « à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait » pendant cet hiver 1941-1942 (DB, 144). La saisie du passé a été rendue impossible par « les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d’occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l’Histoire, le temps » (DB, 145), l’incomplétude et la difficulté d’avoir accès aux archives constituant autant d’embûches pour celui qui cherche témoins et témoignages de la vie et de la fugue de Dora. Les écritures de Perec et de Modiano sont donc liées par cette question de la mémoire et de son pendant, l’oubli[vii] ; or, de quelle mémoire parle-t-on lorsque les questions demeurent sans réponses, que les réponses ne sont que pistes ou hypothèses et ne peuvent être que collectives? C’est en observant plus particulièrement ces retours vers la mémoire matérielle – plus précisément photographique –, élément poétique commun à ces deux textes, que je m’intéresserai aux diverses formes que peut prendre l’inventaire, d’abord en m’attachant à étudier la description du contenu des photographies, puis en examinant leur traitement en tant que documents d’archive.

 

Le parti pris de l’ekphrasis

D’abord, comme l’a déjà souligné la critique[viii], les deux auteurs ont choisi de ne pas représenter de photographies dans leurs livres. Décrire plutôt que reproduire, tout en revendiquant un rattachement intime au passé réel, c’est là un choix très net envers le texte plutôt que l’image, envers l’interprétation plutôt que la reproduction des traces de ce qui a été, de ceux qui ont été. En découle pour les textes une position très particulière entre le pouvoir d’attestation – le « Ça-a-été » barthésien[ix] – de la photographie et la fonction littéraire de la description[x], position qui cristallise également la tension entretenue par les deux œuvres dans leur rapport au réel et, incidemment, dans leur rapport avec le genre romanesque[xi]. Ainsi, comme l’écrivait Roland Barthes dans La chambre claire, la photographie possède ce pouvoir particulier qui est celui d’être « littéralement une émanation du référent. D’un corps réel, qui était là [...][xii] ». En faisant apparaître les photographies dans et par le langage ordinaire, sans les reproduire, les auteurs en font plutôt des « images parlées en texte […] qui constituent la seule réalité sémiotique et littéraire à la fois[xiii] ». Ce parti pris de l’ekphrasis[xiv] devrait aussi signifier l’adoption du paradigme de la description, qui a recours à « un certain nombre d’organisateurs textuels topographiques formant une structure cardinale qui mime un cadrage et une ‘perspective’ propre à l’image[xv] » et qui peut être « parasitée par l’incorporation d’une structure linéaire de type (pseudo) narratif, un récit, qui raconte une successivité séquentielle et causale […] que l’image ne saurait, d’un strict point de vue sémiotique, élaborer[xvi] ». C’est le cas chez Georges Perec et Patrick Modiano, où la référentialité photographique est loin de l’arrêt sur image typique du descriptif[xvii] alors qu’elle est plus qu’à son tour parasitée par une narration qui sert d’arrimage entre les différentes modalités de la saisie du passé, soit la mémoire (entre le souvenir et son absence) et l’histoire (comme rapport à la trace archivistique qu’est la photographie).

Ainsi, dans la portion autobiographique de W ou le souvenir d’enfance, Georges Perec décrira quelques photographies familiales qu’il possède après en avoir rapidement fait l’inventaire – une de son père et cinq de sa mère (W, 45). D’abord, une image où il se trouve, très jeune, dans les bras de sa mère :

Deux photos
La première a été faite par Photofeder, 46, boulevard de Belleville, Paris, 11e. Je pense qu’elle date de 1938. Elle nous montre, ma mère et moi, en gros plan. La mère et l’enfant donnent l’image d’un bonheur que les ombres du photographe exaltent. Je suis dans les bras de ma mère. Nos tempes se touchent. (W, 73)

Si cette description peut effectivement correspondre à la scène véritablement représentée sur la photographie que Perec a sous les yeux, sa description revêt également une dimension symbolique par la façon dont elle rapproche la scène représentée et l’iconographie classique de la Vierge à l’enfant, notamment par la disposition des corps l’un par rapport à l’autre et par l’insistance sur le « bonheur » exalté par la photographie. À propos de cette description, Manet van Montfrans souligne qu’« il n’y a pas ou peu d’analyse explicite » de cette photographie et que « les émotions sont généralement censurées[xviii] ». L’effet produit est fort symbolique, comme si la représentation canonique de la maternité dans la culture chrétienne se substituait à l’absence de souvenirs de la mère réelle, biologique[xix]. Ce manque – de la mère, de souvenirs de la mère – est également rendu présent par la description subséquente de la photographie :

J’ai des cheveux blonds avec un très joli cran sur le front (de tous les souvenirs qui me manquent, celui-là est peut-être celui que j’aimerais le plus fortement avoir : ma mère me coiffant, me faisant cette ondulation savante). Je porte une veste (ou une brassière, ou un manteau) de couleur claire, fermée jusqu’au cou, avec un petit col surpiqué. J’ai de grandes oreilles, des joues rebondies, un petit menton, un sourire et un regard de biais déjà très reconnaissables. (W, 74)

La description de la photographie, plutôt que de n’être qu’une interprétation de l’image photographique, se trouve à être une interprétation du passé, de l’événement capté par l’image : en plus d’attester de ce qui a été en en offrant un témoignage documentaire, la description de photographies sert à convoquer le contexte entourant la prise des photos et les personnes qui se cachent en creux du document : sa mère devient ici sa mère le coiffant.

Il en est parfois de même dans Dora Bruder, notamment lors de la description d’un portrait de la jeune fille. Bien qu’elle ne soit pas la plus tardive et alors que l’ordre chronologique avait jusque-là prévalu dans la présentation des photographies, celle-là est pourtant évoquée en dernier dans le livre[xx]. Soulignant le lien entre la fugue de Dora et celle que le narrateur raconte avoir faite à l’adolescence, Maryline Heck a émis l’hypothèse que la photographie, du moins dans son traitement descriptif, avait une certaine teneur programmatique quant aux élans de liberté de l’adolescente :

Une photo plus ancienne de Dora seule, à neuf ou dix ans. On dirait qu’elle est sur un toit, juste dans un rayon de soleil, avec de l’ombre tout autour. Elle porte une blouse et des socquettes blanches, elle tient son bras gauche replié sur sa hanche et elle a posé le pied droit sur le rebord de béton de ce qui pourrait être une grande cage ou une grande volière, mais on ne distingue pas, à cause de l’ombre, les animaux ou les oiseaux qui y sont enfermés. Ces ombres et ces taches de soleil sont celles d’un jour d’été. (DB, 33)

Le pied sur la cage, qui serait en fait volière, symbolise ici la tension entre l’enfermement et la volonté de liberté de la jeune fille, annonce sa fugue, préfigurant peut-être son destin tragique : la rafle, la déportation, la mort[xxi]. Ainsi, cette écriture à partir d’images peut s’apparenter à une façon de figer le punctum – ce « détail » qui « m’attire » et « me point », dirait Barthes[xxii], cet élément dans l’image qui capte l’attention – par le discours, de le placer avant le studium qui est l’objet de la photographie. Par un traitement littéraire qui donne une plus grande importance à un détail spécifique dans l’image (le punctum) qu’au sujet général de la photographie (son studium), qui insiste sur la coiffure de l’enfant ou sur le pied posé sur la cage – points précis de photos dont les objets respectifs sont Georges Perec dans les bras de sa mère et Dora Bruder à l’adolescence – la description des photographies opère une essentialisation qui fait de Cyrla Perec et de Dora Bruder les symboles, fort pratiques aux fins des projets biographiques respectifs des deux auteurs, de la Mère et de la Liberté.

L’ekphrasis photographique peut également prolonger la trace documentaire en passant de la description du seul contenu des images – l’habillement, les accessoires, le lieu – à leur interprétation. À ce compte, la photographie est à la fois convoquée pour ce qu’elle montre clairement et pour ce dont elle témoigne et que l’on peut extrapoler : les personnes qui y apparaissent ont véritablement existé, et elles ont même formé une famille. C’est notamment le cas lors de l’énumération, dans Dora Bruder, d’une série de photographies :

Quelques photos de cette époque [d’avant la guerre]. La plus ancienne, le jour de leur mariage. […] Une photo avec leur fille Dora. Ils sont assis, Dora debout entre eux : elle n’a pas plus de deux ans. Une photo de Dora, prise certainement à l’occasion d’une distribution des prix. Elle a douze ans, environ, elle porte une robe et des socquettes blanches. […] Une autre photo, prise dans le même lieu, à la même époque et peut-être le même jour : on reconnaît le carrelage du sol et ce grand cube blanc aux motifs noirs géométriques sur lequel est assise Cécile Bruder. Dora est debout à sa gauche dans une robe à col, le bras gauche replié devant elle afin de poser la main sur l’épaule de sa mère. Une autre photo de Dora et de sa mère : Dora a environ douze ans, les cheveux plus courts que sur la photo précédente. […] Une photo de forme ovale où Dora est un peu plus âgée – treize, quatorze ans, les cheveux plus longs – et où ils sont tous les trois comme en file indienne, mais le visage face à l’objectif : d’abord Dora et sa mère, toutes deux en chemisier blanc, et Ernest Bruder, en veste et cravate. (DB, 31 à 33)

Cette accumulation de photographies, passant de la photo de mariage des parents jusqu’aux photos classiques de l’enfance, constitue davantage une généalogie en images qu’une identification de Dora Bruder ; à la question « qui était-elle? », la seule réponse que les photos procurent concerne sa présence et sa place dans une lignée familiale. Dans ces huit premières photos, Modiano ne fait, remarque Joël Dubosclard, « aucun commentaire sur la physionomie de Dora », ce que le chercheur attribue à une volonté de ne pas faire d’« investigation psychologique [xxiii] ». La description est, quoique synthétique, particulièrement systématique et les photos sont présentées chronologiquement, à la façon, comme le disait Maryline Heck, d’un montage[xxiv].

Or, au cours de l’enquête, le narrateur découvrira une autre photographie et entreprendra de la décrire :

J’ai pu obtenir il y a quelques mois une photo de Dora Bruder, qui tranche sur celles que j’avais déjà rassemblées. Sans doute la dernière qui a été prise d’elle. Son visage et son allure n’ont plus rien de l’enfance qui se reflétait dans toutes les photos précédentes à travers le regard, la rondeur des joues, la robe blanche d’un jour de distribution des prix… Je ne sais pas à quelle date a été prise cette photo. Certainement en 1941, l’année où Dora était pensionnaire au Saint-Cœur-de-Marie, ou bien au début du printemps 1942, quand elle est revenue, après sa fugue de décembre, boulevard Ornano. (DB, 90-91)

Alors que l’issue de des recherches se précise de plus en plus – le narrateur a notamment mis la main sur un document indiquant qu’Ernest Bruder avait été arrêté et interné au camp de Drancy (DB, 81) –, cette nouvelle photo bénéficie d’un traitement différent qui lui donne une portée particulière. Ainsi, contrairement à la série de photographies précédemment évoquées qui formait un ensemble surtout « généalogique » visant à présenter qui était Dora – ses origines, son entourage –, la volonté du narrateur semble ici être celle d’inscrire la photographie en tant que « dernière » photo d’une jeune fille juive dont on commence à deviner qu’elle n’a pas survécu à la Shoah. Rompant avec l’absence de commentaires sur l’apparence physique de Dora qui présidait jusque-là, le narrateur souligne que son apparence a changé après sa fugue et qu’elle apparaît plus âgée, portant un air « triste et de défi » sur son visage :

Elle est en compagnie de sa mère et de sa grand-mère maternelle. […] Dora est vêtue d’une robe noire – ou bleu marine – et d’une blouse à col blanc, mais cela pourrait être aussi un gilet et une jupe – la photo n’est pas assez nette pour s’en rendre compte. Elle porte des bas et des chaussures à brides. Ses cheveux mi-longs lui tombent presque jusqu’aux épaules et sont ramenés en arrière par un serre-tête, son bras gauche est le long du corps, avec les doigts de la main gauche repliés et le bras droit caché par sa grand-mère. Elle tient la tête haute, ses yeux sont graves, mais il flotte sur ses lèvres l’amorce d’un sourire. Et cela donne à son visage une expression de douceur triste et de défi. (DB, 91)

La description, ici, semble moins attester de l’origine de Dora Bruder que laisser présager, de la même façon que le faisait le pied posé sur la cage dans une photo précédente, le sort qui l’attend. Ainsi, par son insistance sur les vêtements, le texte ouvre la porte au questionnement moteur de l’enquête et convoque à nouveau le fait divers à l’origine du projet d’écriture : « Dora porte-t-elle la jupe bleu marine indiquée sur l’avis de recherche? » (DB, 91) La description, à priori réponse aux questions – la couleur des vêtements correspond en effet à ceux décrits dans l’annonce –, laisse ici la place aux questions du narrateur, alors qu’un de ses éléments est repris à titre interrogatif. De la même façon, cette ekphrasis d’une photographie familiale suscite aussi un questionnement quant à l’absence d’un sujet dans le cadre : « Qui a bien pu prendre cette photo? Ernest Bruder? Et s’il ne figure pas sur cette photo, cela veut-il dire qu’il a déjà été arrêté? » (DB, 91)

Il y a chez Perec un questionnement semblable : « À l’extrême droite, il y a quelque chose qui est peut-être le manteau de celui qui est en train de prendre la photo (mon père?). » (W, 75) Dans le contexte qui est celui des deux livres, à savoir la disparition éventuelle de certains personnages, cette volonté d’abord documentaire – identifier l’auteur d’une photo – cache surtout une tentative d’attester de ce dont la photographie en elle-même ne peut pas témoigner, à savoir qu’Icek Perec et Ernest Bruder étaient encore présents auprès de leurs familles respectives aux moments où ont été prises les photos. Ainsi, plutôt que de se limiter à identifier et à décrire les personnes présentes sur les photos, les narrateurs de Dora Bruder et de W ou Le souvenir d’enfance extrapolent à propos de l’absence de certains membres de la famille et assument que celui qui n’est pas sur la photo était là, et qu’il aura tout simplement pris la photo ; bien qu’il n’y soit pas représenté, la photo sert ainsi de « preuve » de la présence du père. Bien au-delà de la description, cette façon de faire de la photo l’attestation de ce dont elle ne contient même pas la preuve est une brillante démonstration des possibles de la littérature.

 

La posture de l’archiviste

En l’absence de souvenirs suffisants ou de connaissance préalable du sujet, les entreprises (auto)biographiques de Perec et de Modiano ont en commun de s’appuyer sur divers « fragments matériels du passé[xxv] » afin d’en effectuer la saisie. Chez Perec, il s’agira d’idées et de textes antérieurs[xxvi], de notes et de photographies familiales, tandis que Modiano partira à la « chasse aux documents, aux archives[xxvii] », jusqu’à mettre la main sur quelques portraits de Dora Bruder. Tant pour l’un que pour l’autre, le rapport au statut documentaire des photos est primordial : on s’intéresse autant sinon plus à l’état de conservation des documents ou même aux conditions de leur accès qu’à ce qui y est représenté. Ainsi, l’inventaire des photographies familiales que possède Perec est particulier, en ce sens que le commentaire à propos de leur support matériel prend d’abord le pas sur le contenu des images :

Je possède une photo de mon père et cinq de ma mère (au dos de la photo de mon père, j’ai essayé d’écrire, à la craie, un soir que j’étais ivre, sans doute en 1955 ou 1956 : « Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark. » Mais je n’ai même pas réussi à tracer la fin du quatrième mot). (W, 45)

Dans cet extrait, qui correspond à la première occurrence d’une description de photographie, le manque des photos – à savoir leur non-reproduction – est exacerbé par le peu d’importance textuelle initialement accordée à leur contenu. Ce sont les inscriptions sur le document – plutôt que les scènes et personnes représentées – qui attirent l’attention du descripteur. Considérant la teneur autobiographique de l’œuvre de Perec, et bien que les altérations aient été faites de sa main, cette posture d’archiviste dans l’énonciation des portraits de famille permet de passer du contenu de la photographie à son support et, par le fait même, de détourner la description vers la narration en dissertant sur des événements sans lien avec l’image. Manière, aussi, de ne pas parler immédiatement du père représenté sur la photo.

De façon similaire, la description de certaines photos s’intéresse d’abord à leur qualité d’objet documentaire en énumérant systématiquement les marques à teneur archivistique qui y sont apposées :

La deuxième photo porte au dos trois mentions : la première, à moitié découpée (car j’ai un jour, stupidement, émargé totalement la plupart de ces photographies), est de la main d’Esther et peut se lire : Vincennes, 1939 ; la seconde, de ma main, au crayon bille bleu, indique : 1939 ; la troisième, au crayon noir, écriture inconnue, peut vouloir dire « 22 » (le plus vraisemblable étant qu’il s’agit d’une inscription du photographe qui la développa). (W, 74)

Et encore :

Il y a écrit derrière « Parc Montsouris 19(40) ». L’écriture mélange des majuscules et des minuscules : c’est peut-être celle de ma mère, et ce serait alors le seul exemple que j’aurais de son écriture (je n’en ai aucun de celle de mon père). (W, 78)

La description s’attache donc d’abord aux caractéristiques matérielles de la photographie : état du document, datation, annotations. Plutôt que d’interpréter ces mentions – la première photo a été prise au Parc Montsouris en 1940, la seconde à Vincennes, en 1939 –, le narrateur s’emploie à les décrire avec une grande déférence envers la matérialité du document d’archive. Cette posture énonciative, qui efface la subjectivité du narrateur au profit d’une énonciation à la troisième personne[xxviii], contribue à souligner la valeur documentaire – d’attestation du réel, de ce qui a été – accordée aux photographies. On soulignera notamment le fait que la date, 1939, est relevée à deux reprises, par différentes mains d’écriture. Or, le commentaire descriptif sur la calligraphie, la reproduction de marques peu significatives, comme l’indication « 22 » attribuée au photographe, ou les parenthèses entourant le 40 de 1940, disent bien peu sur le contenu ou le contexte des images, et ne relèvent par conséquent pas seulement de l’ekphrasis photographique (que l’on entend au sens moderne de « description d’œuvres d’art », on le rappellera). Ce parti pris de l’écriture pour la description, dans une certaine fidélité au document – et particulièrement à sa matérialité –, semble d’abord poser la narration du côté d’une recherche de l’attestation : attester de ce qui a été par le document d’archive, preuve tangible de l’événement.

Or, comme pour la photographie du père qui avait été altérée par le narrateur « ivre, sans doute en 1955 ou 1956 », l’énonciation se détourne ici encore de la description au profit d’une explication quant aux marques de découpage que porte une des photos. Autant cet hyperréalisme quant à l’état matériel des photographies tend à attester de l’existence véritable de ces documents, autant leur description, comme le souligne Maryline Heck, produit en fin de compte un « effet de brouillage », de « déréalisation » de « l’image » qui « s’efface derrière les mots[xxix] », trop de mots : « Les souvenirs ainsi restitués sont continuellement soumis au doute, à la réfutation et aux interprétations multiples[xxx] ». Si la photographie agit comme déclencheur de l’écriture autobiographique[xxxi], elle faillit en elle-même à véritablement restituer les souvenirs : « Le recours à l’ekphrasis apparaît en somme comme la tentative incertaine de reconstruire, sinon de retrouver, par l’écriture, des souvenirs : d’où le caractère retors et déceptif de la description photographique[xxxii]. » C’est d’ailleurs pourquoi Philippe Lejeune qualifie W ou Le souvenir d’enfance d’« autobiographie critique[xxxiii] », c’est-à-dire une autobiographie qui, « au lieu de se défendre du soupçon [quant à la possibilité d’écrire vraiment une autobiographie], le reprend sérieusement à son compte et exerce systématiquement, sous les yeux du lecteur, un travail critique sur sa propre mémoire[xxxiv] ». Les divers degrés de discours – reproduction, description, commentaire, interprétation – mènent donc à « tester la résistance de l’image », pas celle de son « passage à l’écrit », mais « sa validité en soi : la question serait moins de savoir si ce qu’elle montre peutêtre retranscrit par écrit, que de savoir si elle montre effectivement quelque chose[xxxv]. » Car l’image, telle qu’elle est convoquée et traitée dans les deux œuvres à l’étude, ne dit pas le passé, ne répond pas à la question des origines. La poétique de la description déployée par Perec ne peut qu’articuler l’écriture entre la volonté, d’une part, de faire échec à l’effet du temps qui passe sur la mémoire, et l’inévitable et effectif revers de cette entreprise : peu importe le nombre de photos et l’effort alloué à leur description, elles ne suppléent pas à l’absence de souvenirs d’enfance causée par la mort des parents. Ainsi, l’hyper-documentation et l’hyper-description des sources archivistiques ne parviennent pas à elles seules à rendre compte du passé, à en témoigner (au sens littéral).

Dans Dora Bruder, le recours à la photographie semble également introduire un rapport critique à l’archive. Étant allé à la mairie pour consulter l’acte de naissance de Dora Bruder, le narrateur s’y voit refuser l’accès puisqu’il n’a aucun lien de parenté avec elle : « Un moment, j’ai pensé qu’il était l’une de ces sentinelles de l’oubli chargées de garder un secret honteux, et d’interdire à ceux qui le voulaient de retrouver la moindre trace de l’existence de quelqu’un. » (DB, 16) Ce motif antithétique du gardien des archives comme une sentinelle de l’oubli montre que la saisie du passé s’accomplit souvent au prix de nombreuses difficultés quant à l’accès à la documentation. Modiano présente ainsi, « sous l’apparence d’une enquête qui n’aboutit pas », les difficultés inhérentes à toute « démarche de connaissance[xxxvi] ». Or, même si son projet littéraire a pour prétention de « s’en tenir à la vérité biographique » et « de faire le lien entre le destin de cette jeune inconnue et celui des Juifs déportés que le Mémorial [de Klarsfeld] recense[xxxvii] », la démarche narrative de Dora Bruder a pour effet d’oblitérer le rôle joué par Serge Klarsfeld dans l’enquête[xxxviii] visant à trouver les traces de Dora Bruder. Afin de se renseigner au sujet de la jeune fille, Patrick Modiano s'est en effet adressé à l’historien, auteur du Mémorial de la déportation des Juifs de France et du Mémorial des enfants juifs déportés de France[xxxix], qui lui a fourni divers documents – notamment des photographies – et informations[xl]. Cependant, bien qu’il ait déjà reconnu l’apport de Klarsfeld dans sa recherche à propos de la jeune fille avant même la parution de Dora Bruder[xli], Modiano n’en fait pas explicitement mention dans son œuvre : « Un ami a trouvé, il y a deux mois, dans les archives du Yivo Institute, à New York, ce document parmi tous ceux de l’ancienne Union générale des israélites de France, organisme créé pendant l’Occupation » (DB, 101). Il s’avère que cet ami anonyme soit Serge Klarsfeld, comme en témoigne une lettre adressée par ce dernier à Modiano le 10 octobre 1996 et qui fait mention de la trouvaille au Yivo Institute[xlii]. De plus, non seulement le narrateur anonymise la source qui lui procure ses informations – sur Dora, mais aussi sur les autres victimes mentionnées tout au long du livre[xliii] –, mais il fait également intervenir cet « ami » tardivement dans l’enquête alors que les travaux de Klarsfeld l’ont accompagné et même inspiré tout au long de sa démarche[xliv]. Dans le « cadre diégétique proche de l’enquête[xlv] », ce procédé d’effacement de la source permet d’attribuer le succès de la quête à une démarche fructueuse de la part du narrateur et marque un penchant certain envers la narration, à savoir vers l’enquête en elle-même alors que l’attention – ou la certitude, le récit affirmatif – est mise sur la « chasse aux documents[xlvi] ». Ce parti pris envers le récit, appuyé de surcroît par le roman Voyage de noces[xlvii], premier projet inspiré de Dora Bruder, concorde avec l’oblitération du rôle joué par Klarsfeld dans l’enquête : « Effacer, retarder la mention de la lecture du Mémorial, c’est faire la place pour l’invention d’une fiction, comparable à celle par laquelle Perec, dans La Quinzaine littéraire, aborde l’histoire de la déportation de sa mère[xlviii]. » C’est mettre Dora d’abord, avant la Shoah, c’est écrire l’histoire contre l’Histoire[xlix] :

Lutter contre l’oubli, c’est consulter consigner, transmettre. Plus le texte progresse, plus il assimile les figures d’autres victimes anonymes, par un effet cumulatif qui restitue l’idée d’engrenage tragique et la mécanique d’une mort industrielle. […] En notant ces prénoms et ces patronymes [noms de victimes retrouvés au hasard d’une consultation d’archives], l’écrivain lève l’anonymat : il rend un nom à ceux qui en furent dépossédés, devenant de simples numéros de matricule, et le transmet en marge d’une Histoire officielle qui ne l’a pas enregistré. Ce geste vaut pour seul témoignage et pour toute insurrection : il inverse par l’infime, dans l’acceptation du dérisoire, la logique destructrice de la Shoah [...][l].

Ainsi, la « chasse aux documents » menée par Modiano « lui permet d’entourer Dora de toute une série d’inconnus, eux aussi ressuscités à cette occasion[li]. » L’existence documentaire de Dora admet d’autres documents, lesquels convoquent d’autres existences, dans un mouvement du particulier au général – de Dora aux victimes françaises de la Shoah –, pour revenir aux particuliers, au pluriel : les victimes, pensées individuellement et non collectivement, de façon à les faire échapper à l’effacement[lii]. Comme le souligne Régine Robin, « à mesure que la documentation sur Dora s’épaissit, toutes sortes d’autres victimes des années noires émergent de l’oubli […][liii]. » C’est d’ailleurs là l’objet de Dora Bruder – et le projet général de l’écriture modianesque – que de mettre au jour la mémoire enfouie dans l’archive, à savoir le nombre et les noms des victimes françaises de la Shoah ainsi que le rôle – conscient ou non – joué par l’appareil étatique dans les rafles survenues lors de l’Occupation.

Modiano contourne donc les écueils de la fiction – laquelle peut certes représenter le passé mais ne peut en rendre compte, en témoigner[liv] –,  auxquels il s’était frotté lors de l’écriture du roman Voyage de noces, à l’aide du « pouvoir propre à l’écriture de pallier le défaut de mémoire, pour peu qu’elle renonce à ses pompes littéraires, accepte de se frotter à des matériaux bruts (photos, documents)[lv] ». Ainsi, notamment en raison de la démarche d’enquête qu’emprunte la diégèse et qui implique que le narrateur ne connaît pas la suite à l’avance, Dora Bruder présente « des conditionnels » : en écrivant à partir d’une personne réelle, nous explique Robin, l’auteur se trouve en quelque sorte limité et « doit se tenir au plus près de sa documentation, laquelle est mince au début de son enquête[lvi]. » En contrepartie, le texte donne à voir les incertitudes et les incomplétudes inhérentes à la saisie du passé puisqu’il « est émaillé de questions, de suppositions, de doutes dans la reconstitution de l’itinéraire de Dora une fois qu’elle a fugué[lvii]. » Plutôt que d’avoir recours à la fiction pour remplir le vide – celle-ci s’étant de toute façon déjà avérée déceptive –, le narrateur modianesque tentera de répondre aux questions sur la fugue de Dora entre autres à partir d’éléments autobiographiques[lviii] – sa propre fugue dans le même quartier parisien quelques vingt ans après la disparition de l’adolescente; la vie de son père, Juif ayant vécu dans la clandestinité lors de l’Occupation –, mais surtout en offrant un témoignage critique quant à l’institution de l’archive, à son rôle et à ses responsabilités.

 

Conclusion

Aménager la liste, inventorier, décrire. Voilà un geste d’écriture qui peut de prime abord sembler objectif. Or, dans les textes de Modiano et de Perec, il n’en est rien : la description de photographies, en jouant sur la fine ligne entre le contenu de l’archive et son interprétation, contribue à dévoiler toute la subjectivité à l’œuvre dans la saisie du passé. Ainsi, face au mémorial – celui de Serge Klarsfeld ou tout autre –, le texte littéraire Dora Bruder se fait commémoration de l’adolescente Dora Bruder[lix]. De la même façon, W ou Le souvenir d’enfance signe, par l’écriture, une mince victoire face aux difficultés de la trace ; devant une mémoire défaillante, le souvenir est remplacé par divers documents, photographies et paroles rapportées, et leur ekphrasis tient lieu d’autobiographie[lx]. Autant chez Perec que chez Modiano, l’« écriture se conçoit à la fois comme un écho et une alternative au phénomène de l’oubli[lxi] ». Or, si l’entreprise d’écriture permet de témoigner de l’événement historique, elle n’est pas à même de représenter – de re-présenter, c’est-à-dire « rendre de nouveaux présents » – celles et ceux qui ont péri[lxii]. Raconter, ce n’est pas restituer ; décrire, ce n’est pas reproduire. Ainsi, en rendant possible ce que Bruno Blanckeman a joliment appelé une « écriture de la consignation[lxiii] », la description narrative de documents positionne le texte littéraire en équilibre entre le trop de mémoire et le trop d’oubli contre lesquels nous mettait en garde Paul Ricœur[lxiv], c’est-à-dire entre la frénésie de la commémoration – toutes ces statues et monuments « à la mémoire de » et leur versant littéraire que sont les textes de fiction inspirés d’événements réels – et l’oblitération du passé par l’enfouissement des documents témoignant de l’événement passé dans la masse indistinguable de l’archive. Dans cette optique, l’entreprise d’inventaire à laquelle se livrent les narrateurs W ou le souvenir d’enfance et de Dora Bruder par rapport aux photographies ne permet peut-être pas de répondre de façon précise et détaillée aux questions qui ont présidé à l’écriture de ces livres – qu’est-il arrivé à Cyrla Perec et à Dora Bruder ? –, mais elle permet de remplir adéquatement le devoir de mémoire envers ces victimes de la Shoah en attestant à la fois de leur existence et de leur disparition dans le respect des écueils que le passage du temps impose à la saisie du passé, c’est-à-dire sans fictionnaliser, sans remplir les « trous » dans l’archive.

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[i]      Patrick Modiano, « Avec Klarsfeld, contre l’oubli », Libération, mercredi 2 novembre 1994 ; cité dans  Raphaëlle Guidée et Marilyne Heck (dir.), Patrick Modiano, Paris, L’Herne, coll. « Cahiers », 2012, p. 177.

[ii]    Georges Perec, W ou Le souvenir d’enfance, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 2017 (1975), p. 17. Désormais, les références à ce livre seront indiquées dans le corps du texte, en utilisant le sigle W et en mentionnant le numéro de page de l’extrait entre parenthèses.

[iii]   Patrick Modiano, Dora Bruder, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2014 (1997), 144 p. Désormais, les références à ce livre seront indiquées dans le corps du texte, en utilisant le sigle DB et en mentionnant le numéro de page de l’extrait entre parenthèses.

[iv]    C’est d’ailleurs « pour cet art de la mémoire » que l’Académie suédoise décernera à Modiano le Nobel de littérature en 2014. (Académie suédoise (Svenska Akademien), « Prix Nobel de littérature pour l’année 2014 », communiqué de presse, 9 octobre 2014 [en ligne]. https://www.nobelprize.org/prizes/literature/2014/8007-patrick-modiano-2014-4/ [Site consulté le 16 octobre 2021].)

[v]     Selon Philippe Lejeune, Perec emprunte « des voies obliques pour cerner ce qui avait été non oublié, mais oblitéré, pour dire l’indicible ». (Philippe Lejeune, La mémoire et l’oblique : Georges Perec autobiographe, Paris, P.O.L., 1991, p. 12.)

[vi]    Les « réponses » à ces questions se trouvent également dans d’autres aspects des deux œuvres, notamment les chapitres allégoriques de W ou le souvenir d’enfance et les divers passages autoréflexifs de Dora Bruder, alors que le narrateur raconte les difficultés rencontrées lors de son « enquête » tout en partageant certains éléments de sa propre histoire familiale.

[vii]  On soulignera d’ailleurs l’admiration exprimée par Modiano envers Perec dans l’article « Avec Klarsfeld, contre l’oubli », paru lors de la publication du Mémorial des enfants juifs déportés de France en 1994 : « Et d’abord, j’ai douté de la littérature. Puisque le seul livre qu’il fallait écrire, c’était ce mémorial, comme Serge Klarsfeld l’avait fait. Je n’ai pas osé, à l’époque, prendre contact avec lui, ni avec l’écrivain dont l’œuvre est souvent une illustration de ce mémorial : Georges Perec. » (Cité dans  Raphaëlle Guidée et Marilyne Heck, op. cit., p. 176.)

[viii] À propos de Modiano et de Perec : Maryline Heck, « La fabrique du souvenir. Mémoire réelle et mémoire fictive dans W ou Le souvenir d’enfance de Georges Perec et Dora Bruder de Patrick Modiano », Texte: revue critique et de théorie littéraire, n° 41‑42 (L’autobiographique 2), 2007, p. 11; à propos de Perec : Christelle Reggiani, « Perec : une poétique de la photographie », Littérature, n°129, 2003, pp. 81 et 83.

[ix]    Roland Barthes, La chambre claire : note sur la photographie, Paris, Gallimard/Seuil, 1980, p. 120.

[x]     Philippe Hamon, Du descriptif, Paris, Hachette Supérieur, 2011, p. 166. Selon Hamon, la description a une fonction générale de « transition » en ce qu’elle participe à organiser la séquence narrative, à marquer la conjonction ou la disjonction ou à marquer un changement de focalisation entre divers personnages.

[xi]    Modiano identifie lui-même Dora Bruder comme un « livre qui ne serait pas un roman » (Patrick Modiano, « Rencontre avec Patrick Modiano, à l’occasion de la parution de Dora Bruder (1995) », dans Gallimard.fr, [en ligne]. https://www.gallimard.fr/catalog/entretiens/01034347.htm [Site consulté le 16 mars 2021].), tandis que la quatrième de couverture fait du livre de Perec une « autobiographie » doublée d’un « roman d’aventures ».

[xii]  Roland Barthes, op. cit., p. 126. Barthes oppose en ce sens la photographie aux « imitations » que sont la peinture et le discours, qui peuvent « feindre la réalité sans l’avoir vue » et avoir pour référents des « chimères » (Ibid., p. 120).

[xiii] Philippe Hamon, Imageries : littérature et image au XIXe siècle, Paris, José Corti, 2007, p. 315.

[xiv]  Le terme est ici utilisé « dans son sens restreint », comme désignant la description d’œuvres d’art ou d’images, suivant l’enseignement de Philippe Hamon (Imageries : littérature et image au XIXe siècle, op. cit., p. 315n). Voir aussi Philippe Hamon, Du descriptif,, p. 11.

[xv]   Ibid., p. 321.

[xvi]  Idem..

[xvii] Selon Philippe Hamon, qui s’est surtout intéressé à l’époque moderne, le descriptif et le narratif sont opposés, le descriptif étant qualifié – à l’opposition du narratif, qui serait syntagmatique – de « lieu d’une conscience paradigmatique dans l’énoncé » (Philippe Hamon, Du descriptif,. p. 5).

[xviii]       Manet van Montfrans, Georges Perec : la contrainte du réel, Amsterdam/Atlanta, Rodopi, coll. « Faux titre », 1999, p. 243.

[xix]  Notons qu’il est fait mention dans l’autobiographie d’une « image en relief de la Vierge à l’Enfant » (W, 131) reçue en cadeau de baptême. Or, Perec est d’origine juive – l’un de ses souvenirs d’avant la guerre concerne d’ailleurs une lettre hébraïque (W, 26-27) –, et ce n’est qu’après le départ de sa mère qu’il est baptisé et qu’il reçoit l’icône.

[xx]   Maryline Heck, op. cit., p. 14-15.

[xxi]  Ibid., p. 15.

[xxii] Roland Barthes, op. cit., p. 71.

[xxiii]       Joël Dubosclard, Dora Bruder de Patrick Modiano, Paris, Hatier, coll. « Profil d’une œuvre », 2006, p. 68.

[xxiv]       Marilyne Heck, op. cit., p. 14.

[xxv] Manet van Montfrans, op. cit., p. 165.

[xxvi]       Dans la partie autobiographique de W ou le souvenir d’enfance, le narrateur explique que l’idée de la cité W date de sa jeunesse : « À treize ans, j’inventai, racontai et dessinai une histoire. Plus tard, je l’oubliai. Il y a sept ans, un soir, à Venise, je me souvins tout à coup que cette histoire s’appelait "W" et qu’elle était, d’une certaine façon, sinon l’histoire, du moins une histoire de mon enfance. » (W, 17-18)

[xxvii]      Régine Robin, Ces lampes qu’on a oublié d’éteindre, Montréal, Boréal, coll. « Liberté grande », 2019, s.p. Régine Robin compare d’ailleurs la démarche de Patrick Modiano à celle de l’historien Alain Corbin qui, après avoir choisi un nom au hasard dans les registres de l’état civil, avait entrepris de tirer un « essai historique » à partir de l’accumulation de documents archivistiques concernant ce pur inconnu du siècle d’avant (voir Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Paris, Flammarion, 1998).

[xxviii]     Cette posture place l’interprétation sous la responsabilité du lectorat plutôt que du narrateur.

[xxix]       Maryline Heck, op. cit., p. 13.

[xxx] Monia Ben Jalloul, « Une enfance suspendue et diffractée dans W ou Le souvenir d’enfance de Georges Perec » dans Postures, n° 21, dossier « L’enfance à l’œuvre », hiver 2015, p. 3.

[xxxi]       Christelle Reggiani, op. cit., p. 84.

[xxxii]      Ibid., p. 82.

[xxxiii]     Philippe Lejeune, op. cit., p. 74. Selon Lejeune, « W ou le souvenir d’enfance présente, par rapport à la tradition du genre autobiographique deux déviations, l’une assez originale – c’est ce qu[‘il] appell[e] l’autobiographie critique ; l’autre, rarissime, l’idée d’intégrer dans un même livre des composantes de ce qu[‘il a] appelé l’"espace autobiographique", c’est-à-dire l’autobiographie et la fiction. » (Idem.)

[xxxiv]     Ibid., p. 74-75.

[xxxv]      Maryline Heck, op. cit., p. 13.

[xxxvi]     Bruno Blanckeman, Lire Patrick Modiano, Paris, Armand Colin, coll. « Lire et comprendre, Écrivains au présent », 2014, p. 107.

[xxxvii]    Joël Dubosclard, op. cit., p. 36.

[xxxviii]   Mireille Hilsum, « Serge Klarsfeld/Patrick Modiano : enjeux d’une occultation » dans Raphaëlle Guidée et Maryline Heck (dir.), op. cit., p. 188.

[xxxix]     Ces ouvrages, parus respectivement en 1978 et en 1994, s’attachent à documenter la déportation des Juifs lors de l’Occupation et à produire une des victimes françaises de la Shoah.

[xl]    En témoigne la correspondance, reproduite dans le Cahier de l’Herne consacré à Modiano. « Correspondance Modiano/Klarsfeld » dans Raphaëlle Guidée et Maryline Heck (dir.), op. cit., p. 178-186.

[xli]  Dans l’article « Avec Klarsfeld, contre l’oubli », paru lors de la publication du Mémorial des enfants juifs déportés de France en 1994, Modiano indique que c’est grâce à l’historien qu’il en saura peut-être un jour davantage à propos de Dora (op. cit., p. 177).

[xlii] « Correspondance Modiano/Klarsfeld » dans Raphaëlle Guidée et Maryline Heck (dir.), op. cit., p. 185.

[xliii] Les noms et informations contenus dans Dora Bruder proviendraient, selon Mireille Hilsum, des travaux de Klarsfeld (op. cit., p. 187).

[xliv] Ibid., p. 176.

[xlv]  Gaspard Turin, Poétique et usages de la liste littéraire : Le Clézio, Modiano, Perec, Genève, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », 2017, p. 158.

[xlvi] Régine Robin, op. cit., s.p.

[xlvii]       « Il me semblait que je ne parviendrais jamais à retrouver la moindre trace de Dora Bruder. Alors le manque que j’éprouvais m’a poussé à l’écriture d’un roman, Voyage de noces, un moyen comme un autre pour continuer à concentrer mon attention sur Dora Bruder, et peut-être, me disais-je, pour élucider ou deviner quelque chose d’elle, un lieu où elle était passée, un détail de sa vie. » (DB, 53) Le roman Voyage de noces, paru en 1990, s’inspire lui aussi de l’avis de recherche de Dora, qu’il renomme Ingrid.

[xlviii]     Mireille Hilsum, op. cit., p. 189.

[xlix] Au contraire, écrire un texte de fiction inspiré de l’événement revient à laisser les victimes – réelles – dans l’anonymat et à placer l’Histoire – la Shoah – à l’avant-plan.

[l]      Bruno Blanckeman, op. cit., p. 130.

[li]    Régine Robin, op. cit., s.p.

[lii]   « Plus précisément, c’est l’esprit dans lequel a travaillé l’historien Klarsfeld que va retenir Modiano : cette volonté acharnée d’arracher à l’oubli et à l’anonymat les visages de ceux qui ont été déportés depuis le sol de France. Avec Dora Bruder, l’écrivain va tenter de prolonger et d’approfondir, sur un cas particulier, l’investigation menée par l’historien sur des milliers de personnes. » (Joël Dubosclard, op. cit., p. 36.)

[liii]  Régine Robin, op. cit., s.p.

[liv]  À cet effet, la protagoniste de Voyage de noces n’est pas Dora – bien qu’elle en soit inspirée –, et le traitement fictionnel du personnage revient à raconter l’événement historique bien plus que ses victimes.

[lv]    Bruno Blanckeman, « Spectrographie » dans Raphaëlle Guidée et Maryline Heck (dir.), op. cit, p. 148.

[lvi]  Idem.

[lvii] Régine Robin, op. cit., s.p.

[lviii] Pour une étude plus approfondie de l’apport autobiographique dans Dora Bruder et de l’imbrication entre « fiction » – ou à tout le moins souvenir fabriqué – et autobiographie, chez Perec comme chez Modiano, voir Maryline Heck, op. cit.

[lix]  Ce texte, peut-être encore plus que n’importe quel autre, accomplit du même coup « l’un des grands projets de Modiano en tant qu’écrivain : le devoir de mémoire. » (Alan Morris, « Patrick Modiano et le fait divers » dans Raphaëlle Guidée et Maryline Heck (dir.), op. cit., p. 64.)

[lx]    « Ces documents et témoignages interviennent comme substitut au souvenir absent, leur commentaire se substitue à l’écriture du moi. » (Manet van Montfrans, op. cit., p. 154.)

[lxi]  Bruno Blanckeman, op. cit., p. 108.

[lxii] Bruno Blanckeman, Lire Patrick Modiano, op. cit., p. 133.

[lxiii] Ibid., p. 108.

[lxiv] Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. i.