“Mon talent c’est l’abondance.” Étude d’une stratégie de reconquête de Jean Giono (1945-1953)
« Mon talent c'est l'abondance. »
Étude d'une stratégie de reconquête de Jean Giono (1945-1953)
L’immédiate après-guerre constitue sans aucun doute l’une des périodes de création les plus intenses de Jean Giono. Entre 1945 et 1951, ce dernier n’écrit pas moins de huit romans, qui paraîtront coup sur coup entre 1947 et 1953[1]. Cette production abondante, concentrée en un temps très court, a lieu à un moment critique de sa carrière. La Seconde Guerre mondiale a en effet constitué une rupture dans le parcours de Giono : l’écrivain, qui bénéficiait dans les années trente d’une notoriété et d’une reconnaissance importantes, se voit accusé de collaboration à la Libération[2] ; incarcéré à Saint-Vincent-les-Forts, inscrit sur la « liste noire » du Comité national des écrivains (CNE), il est dès lors non seulement soumis à l’opprobre général, mais également interdit de publication[3]. Aussi Giono occupe-t-il, dans le champ littéraire de l’immédiate après-guerre, une position singulière en ce qu’il combine les traits d’un débutant et d’un aîné : écrivain expérimenté et reconnu, il doit pour ainsi dire « repartir de zéro » et réussir à entrer de nouveau dans un milieu littéraire dont il a été brutalement exclu. Quelles stratégies[4] Giono va-t-il adopter pour mettre fin à son ostracisme et pour « remonter sur la scène[5] » ?
Dès sa sortie de prison, le 31 janvier 1945, l’écrivain se met à concevoir une grande œuvre romanesque en dix volumes – le futur Cycle du Hussard – dont il prévoit qu’elle fera plus de mille pages. Si le plan initial de cette première série finit par être abandonné au printemps 1947 pour être profondément remanié, Giono ne renonce pas pour autant à son ambition d’écrire un vaste ensemble romanesque capable de concurrencer l’œuvre de Balzac. Bientôt le projet d’une série intitulée « Chroniques » se superpose à celui du Cycle du Hussard, présentant le même caractère monumental. C’est de cette double campagne d’écriture que vont naître les huit romans publiés par Giono entre 1947 et 1953. Nous nous proposons de revenir sur cette période de création intense que connaît l’écrivain dans l’après-guerre, en nous attachant à mettre en évidence la façon dont Giono entend faire de son énergie et de sa fécondité créatrice des armes au service de son entreprise de reconquête. Si nous nous intéresserons à la réception que connaît l’œuvre gionienne dans les années 1950, en tant qu’elle participe de la construction de l’image d’un auteur prodigue[6], nous privilégierons dans cet article le pôle de la production.
Dessinant la figure d’un travailleur acharné et combatif, les carnets de note et la correspondance de Giono attestent sa volonté de revenir sur la scène littéraire à travers l’écriture, à un rythme effréné, d’un vaste cycle romanesque. L’écrivain, rêvant de construire une œuvre monumentale, met en place une stratégie audacieuse faisant de l’envergure même de son projet esthétique un moyen de s’imposer dans le champ littéraire. La production abondante qui en découle ne manque pas de frapper le public, qui salue en Giono un auteur merveilleusement fécond.
Un "délire de création"
Si certains auteurs accusés de collaboration, à l’instar de Céline ou de Montherlant, entreprennent d’écrire au sortir de la guerre des plaidoyers ou des mémoires justificatifs[7], Giono, quant à lui, ne cherche pas à expliquer ni à défendre son attitude pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est par son œuvre seule – œuvre éminemment romanesque[8] – qu’il entend reconquérir sa place, en s’efforçant de prouver à nouveau son talent d’écrivain. Aussi Giono, loin de se laisser décourager par sa situation de proscrit, se met-il à l’ouvrage dès sa sortie de prison. Alors installé à Marseille, il confie à sa maîtresse Blanche Meyer, en avril 1945, qu’il écrit « sous l’impulsion d’une sorte de rage de travail », « dans une sorte de délire de création comme rarement [il en a] connu[9] ». Ce bouillonnement créateur l’amène à concevoir, en moins de deux mois, le projet d’un grand livre romanesque comportant dix volumes. Cette œuvre, que Pierre Citron propose d’appeler « décalogie[10] », connaîtra des titres et des plans divers au fil du temps, et évoluera pour finalement aboutir aux quatre romans du Cycle du Hussard tel qu’on le connaît aujourd’hui : Angelo, Mort d’un personnage, Le hussard sur le toit et Le bonheur fou.
En avril 1945, Giono se lance dans la rédaction du premier volume. « Ivre de personnages[11] », il poursuit un « travail magnifique, […] sans fatigue », et se sent prêt à « écrire 100 pages du livre par mois[12] ». Sitôt le livre I achevé à la fin du mois d’août, Giono attaque, avec la même fougue, la rédaction du deuxième volume. En décembre 1945, il écrit à Blanche Meyer :
Je travaille avec beaucoup d’ardeur et de constance. […] Le livre II sera terminé vers la fin de l’année et dès l’achèvement du livre III, vers mai ou juin, le livre pourrait déjà se tenir debout et paraître s’il le fallait mais j’aimerais mieux, si j’en ai les possibilités, surseoir à sa parution jusqu’au moment où il sera tout à fait complet c’est à dire vers la fin 47[13].
Dans cette lettre, non seulement Giono espère finir très prochainement Mort d’un personnage, mais encore compte-t-il achever sa décalogie avant la fin de l’année 1947, prévoyant de maintenir son rythme de travail effréné. Ce n’est toutefois qu’au début du mois de mars 1946 que l’écrivain termine son deuxième volume, prenant un peu de retard par rapport à ses estimations. Sans se laisser de répit, Giono se lance alors dans la rédaction du livre III où son héros « caracole, vole et galope », à l’image du romancier qui « écrit vite et vif[14] ». « Le roman […] gonfle », rapporte Giono à Blanche Meyer. « J'y ai travaillé sans arrêt et terriblement depuis ton départ[15]. » Au début du mois de juin, les quatre premiers chapitres du Hussard sur le toit sont terminés. C’est à ce moment-là qu’intervient la première interruption de l’écriture du Cycle du Hussard, après treize mois passés dans un « délire de création » continu. Comme l’explique Jacques Mény, le roman a en effet pris « une autonomie de plus en plus grande par rapport au plan initial de la “décalogie”, que le romancier se voit contraint de réviser[16] ». Giono ne reprendra la rédaction du Hussard sur le toit qu’en octobre 1947, après avoir renoncé à son premier projet et mis – provisoirement – de côté Angelo et Mort d’un personnage, qui paraîtront de façon dispersée[17].
Entre temps, surgit de façon imprévue la première des Chroniques romanesques : Un roi sans divertissement, écrite très rapidement entre le 1er septembre et le 10 octobre 1946. C’est peu après avoir commencé ce roman que l’écrivain forme le projet d’un nouvel ensemble romanesque, intitulé Chroniques. Témoignant d’une ambition égale, si ce n’est supérieure, à celle qui avait accompagné la conception de la décalogie, Giono annonce que cette série comprendra vingt volumes[18]. Sur la relation entre ces deux ensembles romanesques, l’écrivain hésite : tantôt il conçoit le Cycle du Hussard comme séparé de celui des Chroniques, tantôt il envisage « d’incorporer tout simplement Hussard à Chroniques[19] ». Quoi qu’il en soit, l’écriture des deux séries est profondément liée et entremêlée : pendant la première interruption de la rédaction du Hussard sur le toit, entre juillet 1946 et septembre 1947, Giono conçoit Un roi sans divertissement puis Noé ; pendant la seconde interruption, entre juillet 1948 et décembre 1950, il écrit Les âmes fortes, Les grands chemins et la majeure partie du Moulin de Pologne. Les « pannes » d’écriture du Hussard sur le toit sont donc fécondes, puisqu’elles donnent naissance à près de cinq Chroniques entre 1946 et 1951. Loin d’arrêter la production romanesque de Giono, elles semblent à l’inverse relancer la machine narrative à un autre niveau, observe Jean-Yves Laurichesse[20].
Ainsi, la période de l’immédiate après-guerre est marquée par l’effervescence créatrice de Giono, qui mène de front l’écriture de deux vastes séries romanesques. Le travail soutenu auquel s’astreint l’écrivain, et dont témoignent de nombreux passages de sa correspondance, s’explique en partie par les difficultés financières qu’il rencontre. Comme il le rappelle à Gaston Gallimard en décembre 1946, Giono a « un grand besoin de l’argent » que ses nouveaux livres doivent lui rapporter : « Je ne suis pas riche, vous le savez, et je suis obligé de gagner ma vie[21] ». En janvier 1949, c’est « sans vain romantisme » que l’écrivain révèle à Blanche Meyer le lien entre écriture et finances, déclarant à propos de son œuvre en cours : « Il faut écrire au moins encore cent pages avant d’être sans remords quant au compte en banque[22] ». En décembre 1950, Giono rapporte à sa maîtresse une baisse de ses mensualités chez Gallimard, qu’il explique par le fait qu’il n’ait donné, en dix-neuf mois, qu’un seul roman ; pour rétablir et même renverser la situation, l’écrivain compte donner trois livres en 1951, dont Le hussard sur le toit auquel il a recommencé à travailler :
J'ai complètement abandonné l'idée de vivre ne serait-ce qu'une heure sans travail. J'y consacre tous mes jours et toutes mes pensées. Peut-être ferais-je ainsi, en même temps qu'un rétablissement financier, une œuvre qui hors des questions d'argent vaudra la peine. Mais j'aime l'écrire[23].
Cette lettre montre bien, s’il était besoin de le prouver, que le rythme de travail soutenu que s’impose l’écrivain n’est toutefois pas uniquement motivé par l’argent ; il est aussi suscité par le désir de créer une œuvre de valeur, et par là de prouver sa propre valeur. Selon Barthes, « l’écrivain possède et est constitué par une croyance narcissique première : “J’écris, donc je vaux [...]” » – autrement dit, « Écrire est un acte de Faire-Valoir[24] ». Ce « Faire-Valoir » de l’écriture, néanmoins, est sans cesse pénétré par le sentiment que tout n’a pas été dit, et ce reste est précisément ce qui fait la valeur entière du sujet. Dès lors, explique Barthes, cet écart établit une sorte de « mécanique de relance, de “rattrapage” ou de “surenchère” qui oblige à écrire toujours[25] ». Dans cette optique, Giono ne cesse d’écrire afin de rattraper ce retard. « Ce qui me reste à écrire est plus important que ce qui est déjà écrit et il faudra que je travaille tout l'été », déclare-t-il à Blanche Meyer en avril 1950[26]. L’écrivain a en effet le sentiment aigu que son œuvre actuelle est incomplète, comme en témoigne cette autre lettre à sa maîtresse : « Je veux […] te lire le texte que j'écris, où je vais bien plus loin que dans Les âmes fortes. Vous ne saviez pas encore qui je suis, ni les uns ni les autres, ni toi surtout […]. Dieu fasse que tu ne le saches pas trop tard[27]. » À l’impression de n’avoir pas tout dit s’ajoute ici la crainte de manquer du temps nécessaire pour y parvenir : de là naît aussi ce sentiment d’urgence que Giono semble alors éprouver au plus haut point. Au mois de mai 1950, l’écrivain dit ainsi avoir « plusieurs projets de romans en tête. J'invente plus vite que je n'écris hélas et j'ai beau venir à ma table dès 6 h du matin il me faudrait des jours de 100 h et une vie de 300 ans[28]. » Giono se décrit ici comme un créateur rempli de potentialités infinies, dont certaines ne pourront jamais s’actualiser : il est, littéralement, trop plein[29]. Noé est l’œuvre par laquelle il tentera d’explorer ces virtualités, de les faire entrapercevoir au lecteur, à défaut de pouvoir toutes les concrétiser. Dans cette chronique qui met en scène le processus créateur, Giono explore les possibilités laissées de côté pendant l’écriture d’Un roi, présentant au lecteur une succession d’histoires, ébauchées à grands traits puis laissées en suspens, qui se bousculent sous sa plume. Il s’agit bien ici de céder « à la tentation de raconter toutes les histoires […]. Finir une, commencer l’autre ; ne se soucier de rien, aller son train, jusqu’à ce qu’on ait exprimé ainsi la monstrueuse accumulation des vies entremêlées[30] ».
Les ambitieux projets de l’écrivain témoignent aussi, selon Pierre Citron, du désir d’une « revanche à prendre sur les autres[31] ». Jacques Mény insiste sur ce point et parle pour sa part d’« une stratégie de reconquête » visant à le faire revenir dans l’actualité littéraire :
Plus combatif que jamais, Giono veut provoquer un choc dans le milieu littéraire et, risquons le mot, réussir « un coup éditorial » qui le remette en piste. La « décalogie » est une arme de combat. Quand il commence la rédaction d’Angelo, en avril 1945, Giono envisage très sérieusement de pouvoir porter l’estocade en moins de deux ans et de faire paraître son livre en dix volumes fin 1947[32].
La décalogie, aux yeux de l’écrivain, est une démonstration de force ; il compte sur elle pour revenir avec éclat dans le champ littéraire et mettre définitivement fin à son ostracisme. De toute évidence, la reconquête de sa propre estime que doit assurer l’œuvre – conçue, selon la formule barthésienne, comme un « Faire-Valoir » – va de pair avec la reconquête du public. « Je me sens prêt à écrire le grand livre qu’il faut que j’écrive et suis solidement assuré des avenirs », affirme Giono avec détermination en avril 1945[33]. Deux ans plus tard, même après avoir renoncé à sa décalogie, l’écrivain fait preuve d’un esprit tout aussi combatif : « Le Hussard […] va un train du tonnerre à quoi désormais je suis bien certain que personne n’aura plus rien à redire », écrit-il à son ami Maximilien Vox en mai 1947[34]. De même, les Chroniques ne sont ni des œuvres alimentaires, ni une simple diversion par rapport à l’écriture du Cycle du Hussard, mais « la nouvelle arme de Giono dans son entreprise de reconquête », observe Jacques Mény[35]. Une lettre écrite à Blanche Meyer en octobre 1946 met en évidence le désir de revanche de l’écrivain, tandis que celui-ci file la métaphore guerrière :
Je dois terminer ce roman […] en un mois pour être sûr de mes possibilités, car je vais “remonter sur scène”, si on peut dire, et je veux y remonter pour vaincre et vaincre d'une façon totale. Je ne peux donc compter sur le Hussard qui ne sera terminé que dans un an ou même deux. Il faut donc que je puisse m’armer d'armes subites. Ce projet d'écrire un roman en un mois, je m'y suis lancé à corps perdu. Il fallait que j'y réussisse. […] C'est une moyenne de six pages par jour au moins. […] J'ai tenu le coup magnifiquement jusqu'à aujourd'hui. […] Je vais gagner la bataille[36].
La cadence soutenue à laquelle écrit Giono naît donc de l’urgence, d’une part à retrouver une situation financière stable, d’autre part à réintégrer le champ littéraire dont il a été exclu avant d’être définitivement oublié du public. Si le plan initial de la décalogie évolue, la stratégie de Giono reste la même : assurer son retour sur la scène littéraire par la publication d’une œuvre d’envergure dont « personne n’aura plus rien à redire » – autrement dit, qui fera taire une fois pour toutes ses détracteurs et constituera ainsi sa meilleure défense.
Le rêve d'une œuvre monumentale
Ce qui frappe d’emblée, dans l’œuvre que projette Giono, c’est son caractère monumental. La décalogie initiale doit, selon les premières estimations de l’écrivain, comporter « au moins un bon millier de pages[37] », et couvrir une vaste période s’étendant sur près de deux siècles. Dans une lettre à Michel Gallimard de juin 1946, Giono présente en ces termes son projet :
<[L]e livre auquel je travaille […] aura de 1000 à 1400 pages. […]
Le livre est un ouvrage romanesque qui débute en 18... et se termine en 1945. [...] Il n’est pas raconté dans l’ordre chronologique, mais s’éclaire par reflet dans une composition dont l’explication dépasserait le cadre de cette lettre[38].
La décalogie est construite selon un principe d’alternance entre le passé et le présent, suivant tantôt les aventures d’Angelo I, hussard et carbonaro italien du XIXe siècle, tantôt celle d’Angelo III, son petit-fils né cent ans plus tard. L’organisation, à la fois familiale et historique, permet à Giono d’embrasser plus d’un siècle d’histoire de France, voire d’Europe, et d’en traiter des événements historiques majeurs tels que « le choléra de 1835, la guerre d’indépendance de la Sardaigne contre l’Autriche, la commune de 1871 (à Marseille) la guerre de 1943 [sic][39] ». L’explication du projet, en ce qu’elle « dépass[e] le cadre de [la] lettre », est elle-même placée sous le signe du débordement, semblant annoncer par avance l’impossibilité de mener à terme le plan immense de la décalogie.
L’envergure de cette fresque romanesque manifeste le désir qu’a Giono de concurrencer les vastes œuvres cycliques des XIXe et XXe siècles. En adoptant la technique du retour des personnages, le romancier se place dans une tradition initiée par Balzac et perpétuée par Zola. Mais, comme le relève Christophe Pradeau, Giono définit aussi sa pratique cyclique, quoique de façon moins explicite, vis-à-vis des grands ensembles romanesques de l’entre-deux-guerres tels que Chronique des Pasquier de Georges Duhamel, Les Thibault de Roger Martin du Gard, Les hommes de bonne volonté de Jules Romains[40]. Toutefois ces vastes cycles romanesques « lui proposent moins des modèles qu’elles ne lui lancent un défi[41] », observe Pierre Citron : Giono ne vise pas tant à rejoindre leur technique qu’à égaler leur grandeur. Plusieurs notes de l’écrivain laissent transparaître cette ambition de concurrencer de prestigieux modèles :
De toute façon, la conception [de mon œuvre] est originale et bien supérieure à la conception de toutes les œuvres cycliques actuelles (Hommes de bonne volonté par exemple)[43].
Sans se référer à d’autres, Giono écrit dans un carnet en avril 1945 : « Si je mourais maintenant avant d’avoir écrit [le Cycle du Hussard], on ne saurait pas quelle est la vraie grandeur de mon œuvre et ce que peut être mon art[44] ». Au sortir de la prison, l’écrivain conçoit sa décalogie comme son futur chef-d’œuvre. Tant sur un plan formel que sur un plan thématique, le cycle romanesque dont il rêve se caractérise par son envergure et par son ambition totalisante. Comme le relève Pierre Citron, Giono entend « faire de l’ouvrage une somme véritable de toutes les possibilités de l’auteur, de tous les aspects du monde[45] ».
Même après avoir renoncé à sa décalogie, Giono conserve l’idée d’un « livre-somme[46] » visant à « exprimer le total », cette « monstrueuse accumulation[47] ». Outre le Cycle du Hussard, les Chroniques apparaissent elles aussi comme une série romanesque ambitieuse, désireuse à la fois de couvrir une large période, d’expérimenter des formes diverses[48] et de concurrencer les modèles du passé[49]. Par ailleurs, si la taille de la décalogie diminue dans les plans remaniés de l’écrivain, passant de dix livres à quatre, la nouvelle série des Chroniques permet quant à elle de gonfler l’œuvre à venir. Alors qu’il est en train d’achever Un roi, Giono note, en octobre 1946 :
Écrire chaque livre comme j’écris le premier c’est-à-dire très vite pendant un mois à raison de trois pages par jour. Ce qui en dix ans me donne dix livres et une œuvre composée de mille pages. Le reste de l’année, à mon aise continuer la rédaction du Hussard. Cette méthode continuée pendant dix ans me met à soixante ans avec une œuvre avancée. Et si je puis la continuer jusqu’à soixante-dix ans, alors elle aura la diversité, la matière et le poids qu’il faut pour une vraie œuvre originale[50].
Dans ce passage, la série des Chroniques semble avoir pris la place de la décalogie, comme le montre le retour de l’idée d’une œuvre en « dix livres » et « composée de mille pages ». La taille monumentale de l’œuvre que projette d’écrire Giono semble être vue comme une qualité à part entière. Comme l’observe Borges, il y a des œuvres telles le Roland furieux, le Don Quichotte ou les Mille et une nuits dont la dimension même constitue une part de leur valeur, car le plaisir que nous donne la lecture de n’importe quel passage provient de la conscience de se trouver en face d’un fleuve intarissable ; on pourrait ajouter à ces exemples La comédie humaine, dont l’ampleur constituait aux yeux de Balzac une qualité essentielle[51]. Les séries romanesques dont rêve Giono semblent elles aussi s’inscrire dans cette lignée, plaçant leur projet esthétique sous le signe du trop-plein. De la même manière que Balzac était obsédé par le numéro cent, qu’il considérait comme le nombre minimum d’œuvres à écrire pour obtenir une gloire immortelle[52], Giono, quant à lui, semble hanté par le numéro dix, qui revient pour compter non seulement les livres prévus pour chaque série (la décalogie, d’abord ; les Chroniques, ensuite), mais aussi les années passées à les écrire. Cette importance accordée au volume de l’œuvre, qui se traduit par des chiffres et des calculs concrets – n’oublions pas que Giono a commencé par travailler dans une banque – se formule encore plus nettement dans une autre note de l’écrivain, datant de mai 1949 : « si je vis longtemps, je gagnerai. Tout est dans : vivre vieux, c’est-à-dire travailler longtemps, dire beaucoup. Mon talent c’est l’abondance. J’ai besoin de temps[53]. » Le verbe « gagner », qui met en évidence l’esprit combatif que continue d’avoir l’écrivain en 1949, est suspendu à l’hypothèse de la longévité, elle-même synonyme d’abondance. Giono se montre ici conscient de ses qualités et de la manière dont il peut les exploiter ; son imagination débordante, sa production volumineuse, apparaissent comme un moyen de s’imposer de nouveau dans le champ littéraire.
La taille massive de son œuvre permet en effet à l’écrivain de faire pression sur un champ littéraire qui lui ferme ses portes. Au moment où il projette d’écrire sa décalogie, Giono entend tout d’abord retarder la parution des premiers volumes afin de publier en même temps l’ensemble de la série romanesque. Nous ne sommes pas loin ici de la stratégie balzacienne que décrit José-Luis Diaz, celle consistant à pouvoir annoncer avec jubilation, quand des œuvres dissemblables déboulent sur le public : « Je fais avalanche[54]. » Car il s’agit bien, pour Giono, d’envahir de ses livres le champ littéraire, de l’en submerger. Même après l’abandon de la décalogie, l’écrivain ne cesse de dresser la liste, dans ses carnets, des titres de ses œuvres à venir, et augmente dans sa correspondance le nombre d’inédits qui s’amoncellent dans ses tiroirs. En novembre 1946, il écrit ainsi à son ami Jean Paulhan : « Enfin, depuis sept ans j’accumule ici romans, poèmes et écrits inclassables, au gré de ma fantaisie. Il n’y en a pas loin de 8 à 10 000 pages. Je crois, moi, que dieu finira par reconnaître les siens[55]. » De même, le mois suivant, Giono annonce à Gaston Gallimard avoir « 10 000 pages d’inédits » et « sept romans terminés[56] » ; en mai 1947, il parle de « 27 volumes inédits » à Claude Gallimard[57]. Certes, Giono a toujours eu tendance à exagérer le nombre de ses œuvres, partageant avec Balzac ce trait de caractère que Sainte-Beuve lui prêtait d’avoir, sitôt la première page écrite, « tout de suite trente autres volumes en idée devant lui, et de rêver ainsi des séries indéterminées qui doivent, en se rejoignant, former une œuvre immense[58] ». Toutefois, la situation s’avère ici différente : les annonces faramineuses de Giono sont pour lui, comme le relève Pierre Citron, une façon de « souligner sa puissance créatrice » et de « faire sentir à quel point il est bâillonné par son inscription sur la “liste noire”[59] ». Si, en juin 1946, Giono affirme à Michel Gallimard ne pas vouloir « être édité actuellement à tirage ordinaire, jusqu’au moment où le livre auquel [il] travaille sera prêt[60] », par la suite il se montre plus pressant auprès de son éditeur, dont il devine les réticences. Face aux délais que prend la publication d’Un roi, Giono met en avant la taille imposante de son œuvre qui, toute prête, n’attend plus que d’être publiée :
J’ai 10 000 pages d’inédits, que je ne peux indéfiniment conserver dans des tiroirs[61].
Que devient Un roi sans divertissement ? Vous savez qu’il y a ici 27 volumes inédits qui ne pourront pas rester toujours inédits, ni tarder à paraître[62].
Vu sur un journal, ne sais lequel, la liste des ouvrages que vous comptez faire paraître. Un roi sans divertissement n’y est pas. Seriez-vous honteux de mon nom, ou de mon texte ? Il y a plus de 4 mois que le bon à tirer a été donné. Je ne suis pas pressé, pas jaloux, je n’ai pas d’amour-propre, mais je vous l’ai dit, Un roi est le premier de 20 et les autres vont peu à peu paraître[63].
Les livres de Giono, dont la sortie est momentanément bloquée par l’interdiction de publication du CNE, semblent ici dangereusement s’accumuler : leur masse, grossie par l’écrivain, vise à impressionner, à intimider presque ; elle constitue une pression exercée sur Gallimard.
La célébration d'un écrivain "merveilleusement fécond"
Une fois dépassés les obstacles de la publication[64], les romans de Giono paraissent coup sur coup entre 1947 et 1953. Ces parutions rapprochées constituent au départ une surprise pour le public : exclu du monde des lettres à la Libération, Giono n’a en effet donné que de très rares interviews dans les années qui ont suivi et a peu fait mention de son œuvre en cours[65]. Cette production abondante contraste par ailleurs avec la période de silence traversée par l’écrivain de 1944 à 1947, à la suite de son inscription sur la « liste noire » du CNE ; aussi ne manque-t-elle pas de frapper l’esprit des critiques qui soulignent la fécondité de l’écrivain, à l’instar de Gaëtan Picon qui relève dans son compte rendu des Grands chemins la parution rapprochée de « cinq ouvrages en moins de quatre années[66] ». De même, Hervé Bazin observe en décembre 1954 que Giono, à presque soixante ans, « a la fécondité d’un débutant qui cherche à s’affirmer[67] ». L’élan créateur dont fait preuve l’écrivain depuis 1945 est perçu comme un nouveau départ pris à la suite de son excommunication et animé par un vif désir de reconquête. C’est du moins ce que laissent penser les propos de Jacques Pugnet, qui résume en ces termes le parcours de Giono dans l’ouvrage qu’il lui consacre en 1955 :
Giono sortait de la guerre en vaincu, on ne prononçait son nom que pour parler de collaboration spectaculaire, pendant trois ans ses livres furent interdits.
Cependant, Giono écrivait ; coup sur coup, il publia trois ou quatre romans excellents […]. De plus, il ne manquait pas de dire à qui voulait l’entendre que ses tiroirs contenaient une dizaine de livres prêts à être publiés. Dès lors il fut reconnu comme un des plus grands écrivains de sa génération[68].
Comme Giono l’a pressenti, la masse de ses livres publiés – doublée de la masse, fabuleuse et fabulée, de ses livres à venir – apparaît bien ici comme un moyen de s’imposer dans le champ littéraire. L’abondance de la production de l’écrivain est perçue par le public comme une qualité à part entière. Ainsi peut-on lire dans un article consacré à Giono en décembre 1954 :
On aura beau objecter qu’un sonnet accompli vaut mieux qu’un long poème [...], n’empêche que la fécondité est à l’écrivain ce que le kilométrage est aux voitures : elle atteste une vocation robuste, une constitution littéraire équilibrée et une “réserve de forces” permanente[69] […].
Ce « jaillissement d’œuvres narratives » que représente la production gionienne dans l’après-guerre semble d’autant plus remarquable qu’il a lieu au moment même où « plusieurs des grands contemporains de Giono semblent abandonner le roman, les uns (Montherlant, Mauriac) pour le théâtre, les autres (Malraux) pour l’essai[70] », rappelle Henri Godard. À cette époque où le roman, et plus particulièrement la fiction, sont en crise[71], Giono fait figure d’exception, paraissant même incarner une création romanesque miraculeusement féconde. « Il y a, […] chez Giono, une générosité en quelque sorte végétale, un rythme de la production, qui fait songer à ce que l’on appelait jadis la “bonté de la nature”[72] », écrit-on dans le Midi Libre. Si l’image auctoriale du créateur prodigue naît de l’ensemble de la production romanesque de Giono dans l’après-guerre, elle est particulièrement manifeste dans Noé, chronique où l’auteur se met en scène comme un démiurge aux pouvoirs illimités, capable de donner vie à une infinité de personnages et d’histoires. Dans son compte rendu de Noé, Luc Estang souligne ainsi l’imagination « merveilleusement féconde[73] » de l’écrivain ; Pierre Debray, quant à lui, affirme « s’incliner devant […] cette prodigieuse puissance d’invention[74] ». Plus que jamais, Giono apparaît, « dans le désertique après-guerre », comme « une fougueuse fontaine d’imagination [...] d’un ton et d’un rythme à décourager la plus alerte avant-garde[75] », pour reprendre les mots de Robert Poulet.
« Mon talent c’est l’abondance[76] », notait Giono dans l’un de ses carnets en 1949. Au regard de la stratégie de reconquête qu’a mise en œuvre l’écrivain dans l’immédiate après-guerre, il semble bien que ce jugement se soit révélé exact. Regorgeant de projets plus ambitieux les uns que les autres, Giono a mené de front, dans un rythme de travail intensif, l’écriture de deux vastes ensembles romanesques. Il s’est attaché à construire une œuvre d’envergure, capable de rivaliser avec La comédie humaine, afin de prouver à nouveau son talent avec éclat. En dépit de l’échec de la décalogie et du raccourcissement des séries volumineuses fantasmées par l’écrivain, l’abondante production de Giono, envahissant le champ littéraire et témoignant de sa vitalité et de son imagination féconde, lui a ainsi permis de reconquérir, selon ses vœux, « une première place[77] ». Cette consécration retrouvée au début des années 1950, à la suite d’une période d’éclipse, allait bientôt recevoir son signe le plus manifeste : le 6 décembre 1954, Giono est élu membre de l’Académie Goncourt.
[1] Nous rappelons ici les titres de ces œuvres par ordre de publication : Un roi sans divertissement et Noé paraissent en 1947 ; Mort d’un personnage en 1949 ; Les âmes fortes en 1950 ; Les grands chemins et Le hussard sur le toit en 1951 ; Le moulin de Pologne en 1953 ; Angelo ne sera publié en volume qu’en 1958 chez Gallimard, mais paraîtra en prépublication dans la revue de La Nouvelle NRF entre juillet et novembre 1953.
[2] Cet article ne prétend pas revenir en détail sur la question – complexe – de la collaboration de Giono ; rappelons simplement que l’attitude de l’écrivain pendant la Seconde Guerre mondiale est ambiguë : d’un côté, Giono fréquente des figures actives de la collaboration, publie dans La Gerbe, hebdomadaire collaborationniste, son roman Deux cavaliers de l’orage, laisse le magazine de propagande allemande Signal faire un reportage sur lui ; de l’autre, il n’écrit aucun texte en faveur du régime de Vichy ou du nazisme, soutient et protège un certain nombre de victimes de l’Occupation. On se reportera sur ce point à la synthèse de Jacques Mény, « 1940-1946 », in Emmanuelle Lambert (dir.), Giono, Gallimard / MuCEM, 2019, p. 143-148.
[3] Le boycott professionnel auquel appelle le CNE à l’encontre des auteurs de la « liste noire » équivaut à les interdire de publication. Cf. Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains (1940-1953), Paris, Fayard, 1999, p. 581.
[4] La notion de stratégie, comprise comme moyen mis en place par un écrivain pour s’imposer dans le champ littéraire, a été introduite par Pierre Bourdieu (Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992). Cette piste d’étude a été poursuivie entre autres par Jérôme Meizoz (Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine Érudition, 2007) ou encore José-Luis Diaz (L’écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, 2007) qui ont lié la notion de stratégie à celle de posture ou de scénographie auctoriale : la mise en scène d’un auteur comporte toujours une dimension stratégique ; elle est une manière d’occuper une position dans le champ.
[5] La formule est de Giono lui-même dans une lettre à sa maîtresse Blanche Meyer, datée du 2 octobre 1946. Cette correspondance, qui n’a pas encore été publiée, est conservée à la Bibliothèque Beinecke de l’Université de Yale aux États-Unis.
[6] Comme le souligne José-Luis Diaz, le public contribue pleinement à construire la figure auctoriale. Cf. L’écrivain imaginaire, op. cit., p. 175.
[7] Céline rédige en 1946 un « Mémoire de défense » qui sera en partie relayé par la presse par le biais des interviews ; ce texte est reproduit dans Cahiers Céline 7. Céline et l’actualité littéraire (1933-1961), Paris, Gallimard, 1986, p. 245-258. Montherlant, quant à lui, écrit vers cette même époque un mémoire justificatif dont le grand public n’aura connaissance que trente ans plus tard au moment de sa publication chez Gallimard, comme le rappelle Jean-Louis Garet dans « Montherlant sous l’Occupation », Vingtième siècle, revue d’histoire, n°31, juillet-septembre 1991, p. 72.
[8] Giono insiste sur ce choix du romanesque, compris à la fois comme genre et comme qualité ; le 5 avril 1945, il annonce ainsi à son éditeur Michel Gallimard qu’il travaille à « des romans romanesques ». Cf. Jean Giono, Lettres à la NRF (1928-1970), Paris, Gallimard, 2015, p. 176. C’est l’auteur qui souligne.
[9] Lettre à Blanche Meyer du 14 avril 1945. C’est l’auteur qui souligne.
[10] Pierre Citron, « Le Cycle du Hussard - Notice générale », in Jean Giono, Œuvres romanesques complètes (ORC), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971-1983, IV, p. 1128.
[11] Lettre à Blanche Meyer du 14 avril 1945.
[12] Lettre à Blanche Meyer du 25 juin 1945.
[13] Lettre à Blanche Meyer du 17 décembre 1945.
[14] Lettre à Blanche Meyer du 18 mars 1946.
[15] Lettre à Blanche Meyer du 25 avril 1946.
[16] Jacques Mény, « Les “Chroniques romanesques” de Jean Giono : un autre récit de genèse » [en ligne]. http://www.les-ames-fortes-jean-giono-site-officiel.fr [Site consulté le 26 août 2019].
[17] Mort d’un personnage paraît chez Grasset en 1949 sans que son appartenance au Cycle du Hussard ne soit signalée ; Angelo paraît en 1953 dans La Nouvelle NRF puis en 1958 chez Gallimard, étant alors présenté par Giono comme une sorte d’ébauche antérieure au Hussard sur le toit.
[18] Pierre Citron, Giono, 1895-1970, Paris, Seuil, 1990, p. 409.
[19] 18 novembre 1947, « Journal inédit de Giono – 1946-1947 », Revue Giono n°2, 2008, p. 84. Pierre Citron retrace les hésitations de Giono quant au rapport entre les Chroniques et le Cycle du Hussard, qui perdureront jusqu’à sa mort en 1970. Cf. Giono, op. cit., p. 409-410.
[20] Jean-Yves Laurichesse, « Les Âmes fortes de Giono ou le récit comme contra-diction », Fabula / Les colloques, « “Le coup de la panne”. Ratés et dysfonctionnements textuels » [en ligne]. https://www.fabula.org/colloques/document5792.php [Site consulté le 18 mai 2020].
[21] Lettre à Gaston Gallimard du 13 décembre 1946, Lettres à la NRF, op. cit., p. 193.
[22] Lettre à Blanche Meyer de janvier 1949 [non datée].
[23] Lettre à Blanche Meyer du 17 janvier 1951.
[24] Roland Barthes, La préparation du roman. Cours au Collège de France 1978-79 et 1979-80, Paris, Seuil, 2015, p. 301-302.
[25] Ibid., p. 308.
[26] Lettre à Blanche Meyer du 9 avril 1950.
[27] Lettre à Blanche Meyer du 10 janvier 1950. C’est l’auteur qui souligne.
[28] Lettre à Blanche Meyer du 3 mai 1950.
[29] Cette sensation de trop-plein est également exprimée dans Noé : « Mais à chaque instant je suis débordé ». Cf. Noé, in ORC, op. cit., III, p. 847.
[30] Ibid., p. 635.
[31] Pierre Citron, « Le Cycle du Hussard », op. cit., p. 1126.
[32] Jacques Mény, « Les “Chroniques romanesques” de Jean Giono », op. cit.
[33] Lettre à Blanche Meyer du 3 avril 1945.
[34] Cité par Pierre Citron, « Le Cycle du Hussard », op. cit., p. 1140.
[35] Jacques Mény, « Les “Chroniques romanesques” de Jean Giono », op. cit. En s’appuyant sur des documents inédits, Jacques Mény écarte ici un récit de genèse qui a longtemps prévalu dans la critique gionienne, selon lequel les Chroniques auraient au départ été conçues comme des romans alimentaires permettant à Giono de se reposer de l’écriture de son grand œuvre.
[36] Lettre à Blanche Meyer du 2 octobre 1946. C’est l’auteur qui souligne.
[37] Lettre à Henry Miller du 11 octobre 1945, Correspondance Jean Giono - Henry Miller (1945-1951), Revue Giono n°7, 2013-2014, p. 26.
[38] Lettre à Michel Gallimard du 22 juin 1946, Lettres à la NRF, op. cit., p. 183.
[39] Lettre à Maurice Verdier du 10 avril 1946, reproduite dans le Bulletin de l’Association des amis de Jean Giono, n°53, 2000, p. 9.
[40] Christophe Pradeau, L’Idée de cycle romanesque : Balzac, Proust, Giono, thèse de doctorat en Littérature française, Université de Paris VIII, 2000, p. 383.
[41] Pierre Citron, « Le Cycle du Hussard », op. cit., p. 1126.
[42] Cité par Pierre Citron, ibid., p. 1137.
[43] 1er octobre 1946, « Journal inédit de Giono – 1946 », Revue Giono n°1, 2007, p. 66.
[44] Cité par Pierre Citron, « Le Cycle du Hussard », op. cit., p. 1137.
[45] Ibid., p. 1137.
[46] Cette expression est de Thomas Conrad dans « Le Livre à l’épreuve du “romanesque”. Giono et le Cycle du Hussard : pour une poétique du Livre-somme », Silène [en ligne]. http://www.revue-silene.com/f/index.php?sp=comm&comm_id=123 [Site consulté le 18 mai 2020].
[47] Ces formules se trouvent dans Noé, op. cit., p. 642.
[48] Le 1er octobre 1946, Giono note dans son journal à propos des Chroniques sa volonté d’essayer « les formes les plus diverses », y compris le poème. Cf. « Journal inédit de Giono – 1946 », op. cit., p. 66.
[49] Dans une lettre à Claude Gallimard du 25 janvier 1948, Giono compare ainsi ses Chroniques à La comédie humaine. Cf. Lettres à la NRF, op. cit., p. 223.
[50] 1er octobre 1946, « Journal inédit de Giono – 1946 », op. cit., p. 66.
[51] Nous reprenons ici un article de Veronica Bonanni, qui cite une introduction écrite par Borges pour Les Mille et une nuits avant d’ajouter à ses exemples celui de Balzac. Cf. « “Les Mille et une nuits de l’Occident”. Balzac et le conte oriental », L’Année balzacienne, 2010, n°11, p. 243-244.
[52] Ibid., p. 246.
[53] 10 mai 1949, « Journal inédit de Giono – 1949 », Revue Giono n°3, 2009, p. 24. C’est l’auteur qui souligne.
[54] Lettre de Balzac à Mme Hanska du 20 septembre 1844 ; citée par José-Luis Diaz, Devenir Balzac. L’invention de l’écrivain par lui-même, Saint-Cyr-sur-Loire, Éd. Christian Pirot, 2007, p. 254.
[55] Lettre à Jean Paulhan du 22 novembre 1946, Correspondance Jean Giono - Jean Paulhan (1928-1963), Paris, Gallimard, « Cahiers Giono 6 », 2000, p. 103.
[56] Lettre à Gaston Gallimard du 13 décembre 1946, Lettres à la NRF, op. cit., p. 193-194.
[57] Lettre à Claude Gallimard du 28 mai 1947, ibid., p. 208.
[58] Sainte-Beuve, « M. de Balzac. La Recherche de l’Absolu » [1834] ; cité par Christophe Pradeau, op. cit., p. 653.
[59] Pierre Citron, Giono, op. cit., p. 419.
[60] Lettre à Michel Gallimard du 22 juin 1946, Lettres à la NRF, op. cit., p. 183.
[61] Lettre à Gaston Gallimard du 13 décembre 1946, ibid., p. 193.
[62] Lettre à Claude Gallimard du 28 mai 1947, ibid., p. 208.
[63] Lettre à Claude Gallimard du 25 octobre 1947, ibid., p. 212.
[64] Les premières reparutions des œuvres de Giono ont lieu en 1947, grâce au soutien d’amis et éditeurs tels que Maximilien Vox, Jean Paulhan ou Roland Laudenbach. Puis, dès 1948, à la suite de dissensions au sein du CNE qui affaiblissent son pouvoir, la « liste noire » devient pour ainsi dire lettre morte, comme le rappelle Gisèle Sapiro dans La guerre des écrivains, op. cit., p. 661.
[65] L’interview de Giono par Pierre Béarn, dans laquelle il annonce avoir « vingt-huit romans terminés », est à ce titre une exception notable (cf. Pierre Béarn, « Chez Jean Giono », La Gazette des lettres, 6 septembre 1947). Ce n’est qu’à partir de la publication du Hussard sur le toit, en 1952, que les interviews redeviendront plus nombreuses.
[66] Gaëtan Picon, « Giono retrouve la grandeur par la simplicité », Samedi Soir, 14 juillet 1951.
[67] Hervé Bazin, « Le solitaire de Manosque », L’Information, 11 décembre 1954.
[68] Jacques Pugnet, Jean Giono, Paris, Éd. Universitaires, coll. « Classiques du XXe siècle », 1955, p. 126.
[69] E. B., « Jean Giono chez les Goncourt », Midi Libre, 8 décembre 1954.
[70] Henri Godard, « Giono : la création romanesque », in Jean Giono, Entretiens avec Jean Amrouche et Taos Amrouche, Paris, Gallimard, 1990, p. 10.
[71] Henri Godard, « La crise de la fiction. Chroniques, roman-autobiographie, autofiction », in Marc Dambre, Monique Gosselin-Noat (dir.), L’éclatement des genres au XXe siècle, Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne Nouvelle, 2001, p. 81-91.
[72] E. B., « Jean Giono chez les Goncourt », op. cit.
[73] Luc Estang, « Les Livres et les idées. Du divertissement », La Croix, 30-31 mai 1948.
[74] Pierre Debray, « Pour saluer Giono », Témoignage chrétien, 20 février 1948.
[75] Robert Poulet, Aveux spontanés. Conversations avec..., Paris, Plon, 1964, p. 173.
[76] 10 mai 1949, « Journal inédit de Giono – 1949 », op. cit., p. 24.
[77] Lettre à Blanche Meyer du 8 janvier 1953