Médiéval

Entre chronique et roman épique :

La biographie créative de Virgile dans le Myreur des histors de Jean d'Outremeuse

 

            Composé au XIVe siècle, le Myreur des histors[1] est une histoire universelle écrite en français par Jean d’Outremeuse, un notaire liégeois. Il s’agit d’un ouvrage colossal rassemblant plus de 1500 pages, qui couvre une très longue période, débutant au déluge pour se terminer à la mort de l’auteur en 1399[2]. Comme tous les autres auteurs d’histoires universelles médiévales, Jean d’Outremeuse base son travail sur plusieurs auctoritates, des œuvres en latin, le plus souvent anciennes, qui font office d’autorité au Moyen Âge[3]. De fait, le Myreur se présente en prologue comme une traduction de chroniques latines : « vos vorons demonstreir et despondre chesty present croniques, que nos avons translateit de latien en franchois et mys en pluseurs volummes ou libres dependant ly unc de l’autre, affin que toutes maniers de singnour et aultres gens qui de latien n’ont nulle cognissanche le pussent entendre[4]. » Après cette déclaration, qu’il présente comme le but de l’élaboration de son travail, Jean d’Outremeuse enchaîne avec une liste de 44 auteurs dont il se serait servi et qu’il aurait dès lors traduits pour produire son œuvre. Pourtant, il ne se contente pas de traduire les sources qu’il évoque en prologue qui, nous le verrons, ne sont pas toutes réelles : il se permet d’intervenir, comblant les vides que laissent les chroniques. Ses interventions sont parfois subtiles – il peut, par exemple, donner un nom à un personnage anonyme –, mais dans d’autres cas elles sont plutôt évidentes, comme l’illustre le segment sur les gouverneurs du pays d’Italie après la mort de Rachem, un des fils de Japhet[5]. Ce faisant, le clerc liégeois fabrique des « noms, situations, familles, origines, et détails de tous genres[6] ». Mais loin de seulement combler les trous laissés par l’Histoire, il en invente aussi certains passages. Il se détache alors de son ambition de traduction présentée en prologue, franchissant les limites du récit historiographique pour intégrer celles de l’œuvre littéraire, de façon à créer un texte hybride, à cheval entre deux traditions bien distinctes. Ces épisodes créatifs ont attiré énormément de critiques négatives de la part des historiens depuis le XIXe siècle et plus particulièrement à partir du XXe siècle. Avant cela, les détails que l’on trouvait uniquement dans le Myreur étaient très appréciés des historiens puisque l’histoire universelle « a servi de base à l’écriture de l’histoire liégeoise jusqu’au XIXe siècle, les érudits se contentant de quelques remarques sur le goût prononcé de Jean d’Outremeuse pour l’invention[7] ». En effet, dès 1910, Godefroid Kurth, un historien belge, s’offusque lorsque l’on considère encore le Myreur comme une source historique et s’affaire à discréditer l’auteur[8]. Fernand Desonay, en 1932, décrit, quant à lui, Jean d’Outremeuse comme « le plus audacieux des arrangeurs[9] ». Plus récemment, on vient plutôt à parler du compilateur comme d’un romancier. Anne-Françoise Cannella, dans son édition du Trésorier de philosophie naturelle des pierres précieuses, une autre œuvre de notre auteur, le décrit comme étant un « affabulateur, mystificateur, cerveau extravagant, romancier et non chroniqueur, tête épique, amoureux du fabuleux et du verbeux, compilateur sans critique, versificateur médiocre et laborieux, etc[10]. » Cette critique est plutôt sévère et nous préférons la description du Myreur que propose Édina Bozoky : « une compilation très originale, constituée d’un mélange inextricable de traditions littéraires, légendaires et historiques, truffées d’inventions propres à l’auteur<[11] ». En effet, contrairement à ce que les chercheurs ont pu écrire, on ne peut pas qualifier le clerc de simple romancier ou d’un compilateur qui manque d’esprit critique[12]. S’il a tendance à ajouter des détails qu’on ne trouve pas dans les sources qu’il utilise, c’est dans un besoin, nous l’avons dit, de combler les vides de l’Histoire. Certains passages, dans son histoire universelle, reprennent mot pour mot les textes-sources qu’il emploie[13], prouvant qu’il ne peut être qualifié seulement de romancier. S’il peut parfois être interventionniste, il n’en reste pas moins que son œuvre se présente comme une composition historique, qui prétend à la véridicité, même si elle est largement parsemée d’éléments fictionnels[14]. Dans cet article, nous examinerons comment Jean d’Outremeuse déborde du cadre vraisemblable de la chronique pour basculer du côté du merveilleux et de l’écriture narrative, créant de fait un genre composite qui allie le style aride et sec de la chronique et des récits historiographiques et celui plutôt libre des œuvres narratives. Pour ce faire, nous étudierons un passage qui a déjà attiré l’attention de la critique, à savoir ce que nous appelons la « biographie créative de Virgile », où Jean d’Outremeuse présente un Virgile à quatre personnalités : un Virgile prophète chrétien avant l’heure, un Virgile magicien, un Virgile « amoureux »[15] et un Virgile clerc[16]. Nous verrons les subterfuges utilisés par le compilateur pour faire entrer cette création dans le cadre de la chronique, mais nous montrerons aussi comment il dépasse ce cadre historiographique grâce à des motifs narratifs dignes des œuvres littéraires.

 

 Une chronique par la forme

            Une question se pose alors : comment Jean d’Outremeuse s’y prend-il pour insérer sa biographie créative de Virgile dans son histoire universelle sans que cela procède complètement du roman ? Il recourt à plusieurs stratégies. La première consiste en un subterfuge qui lui permet de placer sa création sous l’égide d’auctoritates. En effet, bien qu’aucune source ne soit nommée avant la section sur le poète, le lecteur se souviendra quant à lui de la très longue liste d’auteurs et d’œuvres cités en prologue. Cette liste, qui fait presque un folio recto verso dans notre manuscrit de base (c’est-à-dire presque quatre pages dans notre édition), est impressionnante et laisse croire que le récit de Virgile est tiré de l’un de ces auteurs, bien que certains noms n’évoquent rien. Cela ne résulte pas d’un manque de connaissances de la part du lecteur, mais plutôt d’un stratagème du clerc, qui insère dans sa longue liste des auteurs qui n’existent pas et qui passent incognito au travers de cette formidable énumération. Cette manœuvre n’est pas nouvelle ni propre à l’auteur du Myreur, puisqu’elle est utilisée par de nombreux compilateurs qui cherchent à prouver l’autorité et le sérieux de leur œuvre. En effet, comme le souligne Bernard Guenée : « Les listes d’auteurs étalées dans les prologues se révèlent trop souvent des trompe-l’œil. Dans le texte même, l’absence de toute référence est fréquente. Et quand référence il y a, il n’est pas rare qu’elle soit imprécise, inexacte, voire imaginaire[17]. » Il est à spécifier que la majeure partie des noms cités en prologue dans le Myreur sont véridiques, mais certains relèvent manifestement de l’imagination bien féconde du clerc liégeois. Cependant, son stratagème fonctionne bien et le lecteur pense que la majorité de l’œuvre repose sur des textes anciens ou détenteurs d’autorité[18]. De plus, n’indique-t-il pas en prologue qu’il traduit ces œuvres du latin au français ? Il paraît ainsi logique que la biographie de Virgile provienne d’un de ces ouvrages en latin que le lecteur de l’histoire universelle ne pouvait pas lire[19].

            Outre le fait de placer sa biographie de Virgile sous le patronage des auctoritates, Jean d’Outremeuse s’affaire également à raconter les faits de la vie du poète quasiment année par année, débutant à sa naissance qu’il place au bon moment de l’histoire. En effet, il situe la naissance de Virgile à l’an 519 du cinquième âge du monde[20], le 6 mai plus exactement, ce qui équivaut à environ l’an 70 av. J.-C, soit la même année que l’on donne depuis l’Antiquité classique et qui est considérée comme historique. Il situe aussi la mort du poète dans les bonnes années, à savoir le 6 mai 571 du cinquième âge du monde, ce qui correspond à peu près à l’an 18 av. J.-C., ce qui est une fois de plus très près de la date de mort de Virgile attestée par l’histoire, soit l’année 19 av. J.-C. Cela laisse présager que, pour la datation de la vie de son protagoniste, le compilateur aurait vraisemblablement suivi une source ancienne et fiable, sans doute la Chronique d’Eusèbe de Césarée[21]. Cependant, seules ces dates s’avèrent possiblement véridiques, inscrivant les autres du côté de l’invention. Pourtant, si l’on se fie à la forme, et non encore au contenu, la biographie de Virgile se construit comme tout le reste du Myreur. Nous l’avons mentionné, l’auteur procède année par année à la manière des annales et des chroniques anciennes[22], ce qui consiste en une caractéristique de l’historiographie plus que du genre narratif. Comme le souligne Emmanuèle Baumgartner en parlant du roman en prose :

créer un cycle, c’est-à-dire un univers romanesque à la recherche de son origine et de sa clôture, et éventuellement capable d’absorber tous les récits préexistants, tous les récits à venir ; bref, configurer globalement non pas le temps humain – c’est là l’enjeu propre des histoires, universelles ou non, du récit historique, mais un temps romanesque, un temps fictionnel qui en soit le plus parfait, le plus achevé des simulacres[23].

Il ne s’agit pas de la façon de procéder du clerc, qui est bien déterminé à ancrer son récit virgilien dans le temps humain, ce dont témoigne la chronologie stricte qu’il s’impose. Cette méthode s’avère contraire aux techniques d’écriture du roman médiéval, dans lequel le temps n’est que rarement fixé. Le lecteur a donc l’impression, à première vue, d’être véritablement confronté à une chronique, à un genre historiographique sérieux et véridique, même si ce n’est pas véritablement le cas.

            Finalement, un autre élément formel vient ajouter au subterfuge de la biographie créative de Virgile comme étant une traduction de textes anciens. Il s’agit de l’alternance entre différents récits. Comme Jean d’Outremeuse écrit son œuvre suivant une chronologie stricte, il se voit alors dans l’obligation d’interrompre son récit sur Virgile lorsqu’il atteint une année pendant laquelle il se déroule un autre événement important digne de mention. Ce faisant, la biographie du poète est sans cesse interrompue par l’insertion d’autres moments de l’histoire, notamment les guerres de Jules César, des récits sur les différents royaumes d’Europe, les problèmes d’Aristobule, d’Antipater et d’Hérode, créant « une véritable mosaïque[24] ». Le récit virgilien n’est pas raconté de façon suivie, comme le serait un roman et obéit à la structure chronologique préalablement établie, bernant une fois de plus le lecteur. L’auteur du Myreur aurait très bien pu faire une longue digression sur la vie de Virgile, la racontant en continu sans interruption, mais cela ne correspondait pas à la méthodologie historiographique qu’il s’était fixée. Il voulait manifestement inscrire Virgile dans l’histoire, un Virgile extraordinaire qui rassemble toutes les traditions médiévales et antiques sur le poète, et pour ce faire, il devait lui établir une chronologie vraisemblable, bien qu’inexacte, intégrant de cette manière sa biographie créative « à l’histoire générale[25] ». Le compilateur utilise ce même procédé dans son second livre, notamment avec l’épisode du roi Arthur dont il date les faits afin de l’ajouter à l’histoire du monde. Cependant, pour Arthur comme pour Virgile, « des faits plus romanesques s’introduisent à titre de données historiques[26] ».

 

Un roman épique par le contenu

              Virgile était une figure très populaire au Moyen Âge et de nombreux chercheurs l’ont montré[27]. Non seulement le connaissait-on comme l’auteur de l’Énéide, dont le succès est indéniable entre autres parce qu’elle faisait partie du curriculum de base de tous les clercs[28], mais parce qu’il figurait aussi dans des œuvres encyclopédiques[29] et littéraires[30]. Ainsi, il n’est pas étonnant de le voir mis en scène et surtout affublé des rôles évoqués en introduction, à savoir prophète chrétien, magicien, clerc et amoureux. Cependant, l’auteur du Myreur surpasse ses prédécesseurs et pousse plus loin chacun de ces rôles. L’Image du monde de Gossuin de Metz semble avoir été la source de quelques anecdotes que l’on retrouve dans notre histoire universelle[31]. En effet, on peut lire chez Gossuin de Metz la mention d’un Virgile annonciateur de la venue du Christ[32]. On retrouve aussi le Virgile magicien responsable de nombreuses merveilles, notamment la mouche d’airain, le cheval d’airain, le château d’Oef, la disparition du feu dans une cité (Rome chez Jean d’Outremeuse), le pont que nul ne sait comment il a été construit, le mur d’air autour du jardin, les deux cierges qui ne s’éteignent jamais ainsi que la tête qui lui annonce sa mort d’une insolation[33]. S’y trouve également le Virgile piégé par une femme[34] (Phebilhe dans notre texte), que Jean d’Outremeuse développe amplement. Pourtant, il dépasse ces éléments, ajoutant ses propres inventions qu’il détaille largement[35].

 La biographie créative de Virgile compte plusieurs attributs du roman et de la chanson de geste, l’utilisation de cette dernière n’étant guère surprenante puisque Jean d’Outremeuse est également l’auteur d’une Geste de Liège[36], une chanson de geste à la gloire de sa ville natale. De plus, comme le soutient Catherine Croizy-Naquet :

Au xiiie siècle, l’influence de la chanson de geste sur l’historiographie naissante en prose repose en grande partie sur les liens que le poème épique entretient avec la réalité historique, qu’elle soit transposée ou non dans la fiction et reconfigurée en mythe, ou qu’elle serve à revitaliser ou enrichir une légende[37]

Bien que le chroniqueur écrive dans la seconde moitié du XIVe siècle, cette influence est particulièrement présente tout au long de son histoire universelle. Elle est d’autant plus évidente dans les deuxième et troisième livres[38], puisqu’ils traitent d’un sujet privilégié des chansons de geste, à savoir l’époque carolingienne. Toutefois, les traces de cette influence épique sont visibles dans la partie d’histoire ancienne, matière contenue dans le premier livre, et plus particulièrement dans le récit virgilien. Si le but des récits historiographiques est de reconstituer « une chronologie précise […] en rétablissant la chaîne des événements dans leur cohérence logique[39] », ce n’est pas le cas de la chanson de geste « qui étudie le passé en se tournant vers l’avenir avec un objectif à remplir, en transmuant le souvenir en prophétie[40] ». La mise en scène d’un Virgile annonciateur de la foi chrétienne est particulièrement représentative de cette influence de la chanson de geste dans le Myreur. À de nombreuses reprises, le poète annonce la venue du Christ, notamment quand il construit une statue de la vierge Marie et qu’il annonce qu’elle tombera à la naissance de Dieu. Les sénateurs de Rome lui demandent qui sera la Vierge et il leur répond de la manière suivante :

Chils Dieu si desquenderat en la Virge sens corrompre sa virginiteit. Elle porterat Dieu le Peire, le Fis et le Sains Esperis, c’este la sainte Triniteit en une uniteit, un seul Dieu de sa nature et de sa substanche tout parfait, en queile je croy et si croiray, et en celle creanche moray. Ilh fourma l’homme et la femme, et les hommes fourment les dieux en queis vos creieez, de bois et de pires et de pontures[41].

L’annonciation continue un peu plus loin, puisque le dialogue se poursuit entre Virgile et les sénateurs. On retrouve également des discours prophétiques à différents moments de la vie du poète, dont le plus flagrant est celui de la veille de sa mort lorsqu’il prédit une fois de plus la naissance du Christ et qu’il se fait baptiser :

« Barons ! Je vos ay assembleit por dire unc secreit. Et chis est que demain a none je devieray et plus ne viveray. Je vos commande tous a Dieu, qui toist venrat tenir le lieu de monde com vray Dieu et hons. Sa mere, la Virge, demorat sens corruption de nature. Sachiés que celle nascerat de demain en iiii ans, iiii mois et ii jours, et de xv ans elle avrat enfant qui sierat Dieu le Peire, le Fis et le Sains Esperit, la parfaite Triniteit de trois dieux en une uniteit, en queile je croy et croray et toudis y ay creyut. » Adonc les at monstreit sa chair et les expoisat tout chu qui astoit ens entalhiet et les priat tous, chevaliers et borgois, qu’ilh pensent bien a chu qu’ilh dist. Et si prendent baptesme tantoist que ilh l’oront prechier, si avront saniteit et salvement de corps et d’armes. « Et affin que mies vos me creieis, je me veulhe est [sic] recreieis. » Puis prent del aighe en i bachin et aprés hucha Constantin, qui astoit uns proidhons chevalier, et li dest : « Prendeis cel aighe, verseis sour moy. » Et chis le fist et Virgile dest : « En nom de Pere, de Fis et de Saint Espir, ch’est Triniteit, prenge je bapteme en l’esperanche que Dieu moy rachaterat awec ses aultres amis et moy mourat en sa glore[42]. »

Ce faisant, Jean d’Outremeuse fait de son protagoniste un devin, presque apôtre avant l’heure. Les histoires universelles étant orientées vers l’histoire du Salut[43], cela n’est guère surprenant que la religion chrétienne prenne énormément de place. Cependant, transformer un poète païen en prophète chrétien vient détourner la véracité historique au profit d’un procédé épique qui vise à promouvoir les valeurs d’une communauté, ici le christianisme au sein des laïcs.

            Poursuivant dans cette veine épique, l’auteur du Myreur propose également des personnages dont la principale caractéristique est la démesure[44]. C’est le cas de Phebilhe, présentée dans notre texte comme la fille de Jules César, qui devient amoureuse de Virgile par sa renommée : « Phebilhe, la filhe Julien Cesaire, qui amoit Virgile si fort qu’elle ne poioit plus et ne l’avoit oncques veyut, mains a l’oiir prisier la grant bealteit, sens, manere, gentilheche et debonnaireteit de ly, elle l’avoit enssi enameit[45]. » Très vite, elle cherche à le rencontrer et souhaite devenir son amie. Le poète lui explique qu’il « navoit nule entente de femme prendre[46] », mais qu’il l’aimerait volontiers. Ils deviennent alors amants. À plusieurs reprises, Phebilhe essaie de pousser Virgile à la prendre pour épouse. En effet, la renommée de celui qu’elle aime est tellement grande qu’elle a peur qu’il s’intéresse à une autre femme qu’il lui préférerait. Si la fille de Jules César est d’abord patiente et polie dans ses tentatives, elle devient beaucoup plus insistante au fur et à mesure que son amant lui refuse ce qu’elle désire. Virgile reste catégorique, il ne désire pas prendre épouse, que ce soit elle ou toute autre femme, car « a marier ne [se] poro[it] entendre[47] ». Courroucée et incapable d’accepter ce refus supplémentaire, Phebilhe décide qu’il convient maintenant de faire payer au poète tous ces rejets consécutifs. Elle met en place un projet dont le but est l’humiliation de son amant. Ainsi, elle l’informe que son père, Jules César, a été mis au courant de leur relation et que, pour la punir, il l’a enfermée dans une tour, lui défendant de parler au poète. Cependant, si cela plaisait à Virgile, ce dernier pourrait tout de même venir la rejoindre dans la tour et son père n’en saurait rien. Elle avait à cet effet déjà préparé une corbeille dans laquelle il pourrait entrer pour qu’elle le hisse au sommet de la tour à l’aide de complices et qu’il se glisse par la fenêtre pour la rejoindre. Le magicien, dont le savoir est incomparable, se doute bien qu’il s’agit d’un piège, mais il indique à la fille de l’empereur qu’il viendra cette nuit. Par un tour de magie, il donne son apparence à un mannequin dans lequel il fait entrer un esprit et l’envoie vers la tour de Phebilhe alors que lui et d’autres sénateurs observent la scène, invisibles. Alors, le faux Virgile entre dans la corbeille et la fille de César, se trouvant dans la tour avec ses amies, commence à le tirer vers le sommet. Toutefois, à mi-chemin, elles arrêtent de le remonter et le laisse pendre à la vue de tous en s’écriant : « Donc moreis, faux trahitre, sens merchi ! Tu n’as honie et se ne me vues prendre a femme. Or me vengeray de toy, car tu seras pendus ou decolleis[48]. » Les parents de Phebilhe arrivent et voient la scène. César, courroucé, tente de faire descendre Virgile pour le tuer, mais ce dernier, par un procédé magique, fait monter et descendre la corbeille sans qu’il soit ne possible pour personne de l’atteindre. Le récit se poursuit, puisque le poète se venge en volant le feu de Rome et la seule façon pour les Romains de le récupérer est d’humilier complètement Phebilhe[49].

            La fille de l’empereur fait preuve d’une démesure qui jusqu’alors n’avait pas été mise en scène dans le Myreur. Si cette attitude peut être bien vue dans les chansons de geste, notamment lorsqu’elle est mise au service d’une cause qui dépasse le héros[50], elle est extrêmement mal vue lorsqu’elle est employée pour « satisfaire des ambitions personnelles[51] ». C’est le cas ici de Phebilhe dont la démesure, alimentée par un désir de luxure, aura pour conséquence la disparition du feu à Rome. Virgile, dans sa colère, laissera les Romains dans la noirceur, sans aucun moyen de se réchauffer ou de se nourrir. Cette caractéristique épique est le cœur de l’ajout d’un épisode complètement inventé par Jean d’Outremeuse. En effet, si la disparition du feu à Rome est évoquée par Gossuin de Metz, elle n’est pas très développée, le tout faisant l’objet d’une phrase[52]. Dans le Myreur, cette aventure insérée est au cœur de la biographie créative virgilienne, de façon à mettre en scène le goût du poète pour l’étude, mais plus précisément sa supériorité, puisqu’il réussit à voler le feu qui alimente la cité de Rome, et son dévouement pour la cité. Il n’aurait effectivement pas eu à faire disparaître le feu si ce n’avait eu été de la démesure de son amante qui ne pouvait tout simplement pas concevoir que celui qu’elle aimait lui préférait le travail et les études.

            Le récit virgilien se distingue également des récits historiographiques par son manque de réalisme. Comme le soutient Catherine Croizy-Naquet : « Se distinguant de la chanson de geste, l’histoire verse dans une veine plus profane et plus “réaliste”[53]. » Les chroniqueurs tâchent généralement d’éradiquer toute trace de merveilleux lorsqu’ils compilent leurs œuvres dans un souci de vraisemblance et parce qu’elles sont du fait de leur caractère historique, le lieu d’énonciation d’une vérité[54]. Ce n’est nettement pas le cas dans la biographie du poète que propose Jean d’Outremeuse, puisque la magie est utilisée abondamment, plaçant ainsi sa création du côté du romanesque. Cependant, ce n’est pas seulement l’utilisation du merveilleux qui insère cet extrait dans le corpus romanesque, puisqu’il possède plusieurs autres caractéristiques appartenant à ce genre. On y trouve d’abord des changements de rythme dans la narration, qui se manifestent dans la biographie virgilienne par deux techniques, à savoir la description et le discours direct. Dans l’extrait qui nous occupe, on retrouve six descriptions qui viennent interrompre la « prose plutôt sobre et dépourvue de fioritures[55] » de la chronique grâce à des énumérations d’adjectifs. La première description est consacrée à Virgile et il s’agit du premier personnage que Jean d’Outremeuse décrit avec autant de soin :

Chis Virgile fut mult gran clers de toutes scienches et fut des septes ars mult expers, et fut unc gran philosophe et naturiens, et fut en la Sainte Escripture si vraie qu’il prophetisat la venue de l’incarnation, enssi com vos oreis chi après. Et fut awec chu ly mies neis et de plus grande noblece qui fuist a son temps en monde et si astoit ly plus beals de corps que ons posist regardeir : drois, grans, gros et aligniés, fours tant que il astoit curvés, car il bassoit les espalles et le chief unc pou, et fut de tous biens enseigniés, douls debonnairs, grans et humble, et se soy faisoit aimer de cascons, et savoit parleir de tous langaiges, et n’entendoit a aultre chouse que a studier[56].

Aucun personnage, avant Virgile, ne reçoit une description aussi détaillée. Certes, le chroniqueur attribue parfois à un personnage une ou deux qualités, mais cela n’atteint jamais l’éloge qu’il consacre au poète. Les autres passages descriptifs concernent les merveilles que crée le Virgile-magicien, c’est-à-dire des édifices ou des objets créés par la magie : le capitole avec toutes les images des provinces sous la domination romaine, les douze images représentant les douze mois et les douze signes du zodiaque, les quatre images représentant les quatre saisons, la description des mets et des jeux que l’on fait chez Virgile à Naples et finalement la description de la chaise sur laquelle le poète s’empale volontairement après avoir été victime d’une insolation. Jean d’Outremeuse s’arrête définitivement sur cette dernière image, celle du trône de Virgile rappelant de fait les descriptions dans les romans antiques[57] :

Item Virgile cuisit unc gran terrien de terre et de cendre et mist dedens del terre apparelhie a son manire. Puis plantat dedens des herbes a fuison que nos ne savons nommer fours tant qu’il y oit balme. Et y avoit des altres herbes de si fresse nature que il ne les fairoit jamais rafressier, car sens aighe sieront toudis verdes. Et puis fist une belle chaiier tout de cypresse a pire prechieux : saphirs, rubis, medes, achates, enches, dyadices, peridos, jacincte, bleux, esmerades et pirophilos. Si astoient dedens sculpteit les hauls noms de Dieu, et le salut que Gabriel fist a la Vierge Marie en disant : « Ave, gratia plena ». Et astoient la l’ymaige de la Virge et de l’angele entalhies et figurees, si com il stesoient puis en temple des Juys. Aprés fut ly ymaige del Virge tenant une verge en sa main et comment elle alat visenter Elizabeth en temps future, et finablement de greit en greit tout enssi qui’il avienet après jusques a l’assumption Nostre Damme[58].

Ici, le temps de la narration d’événements s’arrête pour décrire le magnifique siège que construit le poète, un chef-d’œuvre à la gloire de la Vierge. Cette description est d’autant plus impressionnante puisqu’il s’agit de la seule création de Virgile qui ne soit pas le résultat de ses pouvoirs magiques, puisqu’en aucun cas le chroniqueur ne mentionne que ce soit fait par « nigromanche[59] », contrairement aux autres merveilles.

            Une autre caractéristique du romanesque est sans aucun doute l’insertion de nombreux dialogues dans le récit virgilien. Si les dialogues ne sont généralement pas exclus des histoires universelles, ils ne sont que peu utilisés, les compilateurs préférant nettement le discours indirect. Lorsque les sources employées relèvent du corpus de la littérature, il peut être difficile de les oblitérer complètement, spécialement quand les auteurs s’affairent à ne pas seulement résumer l’œuvre en surface. On trouve, par exemple, quelques dialogues dans les récits énéens des histoires universelles, dont la source est, bien sûr, l’Énéide de Virgile<[60]. Néanmoins, même si les chroniqueurs utilisent le dialogue, ils semblent préférer s’en servir le moins possible. Jean d’Outremeuse suit également cette habitude dans le début de son histoire universelle. S’il recourt au discours direct, il s’agit souvent de petites phrases ou de petits discours isolés. Pourtant, il déroge complètement à cette règle lorsque vient le temps d’écrire la biographie de Virgile. En effet, on retrouve, dans cette partie seulement[61], soixante-trois dialogues de plusieurs registres : monologues, conversations, simples exclamations, etc. Cela rappelle nettement les techniques utilisées dans les romans en prose médiévaux pour modifier le rythme de la narration. Comme l’explique Emmanuèle Baumgartner : « La place importante qu’occupent dialogues et passages parlés dans l’écriture en prose contribue beaucoup à la fois à la vivacité du récit et à sa théâtralisation[62]. » Beaucoup de passages parlés, dans l’extrait qui nous occupe, sont de la bouche de Virgile. Lorsqu’il annonce la venue du Christ, il est possible de bien sentir les effets de théâtralisation évoqués. De plus, l’auteur du Myreur s’amuse beaucoup avec les discours directs, notamment dans un passage où il invente un autre langage. Le poète, se faisant passer pour un roi étranger, s’adresse à Phebilhe et à sa mère de la façon suivante : « A markin linet et madrineth jus et dyneth[63]. » La langue utilisée, qui manifestement n’existe pas, vient ici ajouter à l’exotisme de ce roi venu d’ailleurs, prouvant de fait que cela ne peut être Virgile. À cette phrase incompréhensible, les deux femmes somment le roi de parler leur langue, ce qu’il fait par la suite. Ce jeu sur le langage par l’entremise des discours directs prouve bien que la biographie virgilienne de Jean d’Outremeuse tient beaucoup du roman. Comme les chroniqueurs ne lisent souvent que le latin et le français, on ne trouve pas d’autres langages dans leurs œuvres. Cette insertion témoigne alors de la liberté des auteurs de romans qui peuvent se permettre d’inventer des idiomes si cela sert leur projet. Par conséquent, cette latitude que s’accorde le clerc témoigne de sa propension vers le romanesque, démontrant que son récit virgilien s’avère sans doute tout aussi inventé que le langage utilisé par Virgile.

 

            La biographie créative de Virgile insérée dans le Myreur des histors de Jean d’Outremeuse est problématique en ce qu’elle déborde des limites de la compilation historiographique. Si elle présente des caractéristiques formelles de la chronique – notamment son fonctionnement chronologique et son alternance avec des récits qui ne la concernent pas, sans oublier qu’elle se trouve dans une œuvre qui se présente comme une traduction de chroniques anciennes – elle se range toutefois du côté du roman épique par son contenu. De la chanson de geste, genre qui n’est pas inconnu à notre auteur, le récit virgilien reprend le côté prophétique et la mise en scène de la démesure, alors que du roman il récupère les changements de rythmes de la narration qui se manifestent dans cet extrait par l’ajout de descriptions et de nombreux dialogues. De plus, le compilateur met en scène un Virgile extraordinaire, presque bâtisseur de Rome, prophète chrétien avant l’heure, clerc savant et magicien, prouvant qu’il accorde une grande importance au poète[64]. Ce faisant, nous sommes d’avis que ce mélange des genres historiographique, romanesque et épique du récit virgilien témoigne d’un procédé de manipulation de l’auteur du Myreur afin de légitimer en particulier des personnages ou des villes qu’il apprécie. En effet, Dominique Boutet affirme que Jean d’Outremeuse utilise la fiction pour exalter sa ville natale et son héros médiéval, Ogier le Danois[65]. Nous avons repris cette thèse afin de démontrer que cette hybridation des techniques romanesques et épiques à la chronique universelle dépasse la ville de Liège, et que le clerc procède de la même façon pour légitimer des personnages de l’Histoire, comme c’est le cas avec Virgile. Ainsi, contrairement aux auteurs de fiction qui ajoutent des éléments historiques à leurs récits pour glorifier leur héros, le chroniqueur opère de manière inverse en utilisant la fiction pour légitimer de véritables personnages. Cette méthode atteste certainement de la montée en popularité du roman en français qui se manifeste dès le XIIe siècle et qui est bien installée au XIVe siècle. Même si le Myreur se réclame de la chronique, il est évident que l’influence du romanesque et de l’épique sur l’auteur est grande et cela se remarque énormément dans la biographie créative de Virgile au point où il s’avise d’insérer cet épisode dans la section d’histoire ancienne, section où on se contente habituellement de compiler et de traduire les auctoritates.

 


[1] Afin de ne pas allonger inutilement le texte, nous réduirons Myreur des histors en Myreur pour le reste de l’article. De plus, nous ne référons pas à l’édition déjà existante du Myreur (Jean d’Outremeuse, Le Myreur des histors, chronique de Jean des Preis dit d’Outremeuse, édition critique établie par Adolphe Borgnet et Stanislas Bormans, Bruxelles, Hayez, 1864-1887, 7 t.), mais plutôt au texte du manuscrit 10455 de la KBR à Bruxelles, que nous mettrons en forme, puisque nous préparons notre propre édition du texte de Jean d’Outremeuse pour la thèse.

[2] Le Myreur est divisé en quatre livres. Le premier commence au déluge jusqu’au couronnement de Charlemagne en tant qu’empereur (794), le deuxième couvre les années 794 à 1207, le troisième se rend jusqu’en 1340 et le quatrième se termine en 1399. Nous possédons aujourd’hui des témoins manuscrits des trois premiers livres, mais on ne conserve aucune copie du quatrième livre. Cependant, les renvois à un quatrième livre, notamment par l’entremise de Jean de Stavelot, l’un des copistes du Myreur, semble confirmer qu’elle fut bel et bien écrite (Stanislas Bormans, Chronique et geste de Jean des Preis dit d’Outremeuse. Introduction et table des matières, Bruxelles, Hayez, 1887, p. cxxx-cxxxi).

[3] Les auctoritates au Moyen Âge sont multiples et sont réparties sur plusieurs niveaux. La classification faite par Vincent de Beauvais dans son Speculum majus est éclairante : « Il place au sommet la Bible. Puis viennent les docteurs les plus dignes de foi, ceux que l’Église a canonisés. Cette catégorie regroupe aussi bien des Pères de l’Église qu’un écrivain du xiie siècle comme Bernard de Clairvaux. Ils sont suivis des auteurs investis d’une autorité moyenne, c’est-à-dire les auteurs non canonisés. Cette catégorie intègre tous les grands savants et théologiens médiévaux. Enfin, dans une catégorie à part, mais dignes de la plus grande confiance, sont rangés les grands auteurs de l’Antiquité comme Aristote, Cicéron ou Priscien dont la science illumine la foi » (Serge Lusignan, Parler vulgairement. Les intellectuels et la langue française aux XIIIe et XIVe siècles, Montréal et Paris, Presses de l’Université de Montréal et Vrin, 1986, p. 131).

[4] Jean d’Outremeuse, Myreur des histors, Bruxelles, KBR, fol. 1ra.

[5] Pour plus de détails sur cette section, voir Jacques Poucet, « Les primordia de Rome selon Jean d’Outremeuse, chroniqueur liégeois du xve siècle », Folia Electronica Classica, 34 (juillet-décembre 2017), [en ligne]. http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/34/Primordia.pdf [Site consulté le 11 septembre 2020].

[6] Pierre Courroux, « Godefroid Kurth et Jean d’Outremeuse : un historien du xxe siècle face à l’invention historique », Médiévales, 64 (printemps 2013), p. 155.

[7] Ibid, p. 153.

[8] Godefroid Kurth, « Étude critique sur Jean d’Outremeuse », Mémoires de la Classe des lettres et sciences morales et politiques et de la Classe des beaux-arts de l’Académie royale de Belgique, Bruxelles, 2e série, 7, 1910.

[9] Fernand Desonay, « Virgile selon Jean d’Outremeuse », dans Dépaysements ; notes de critique et impressions, Liège, Éditions Soledi, 1945, p. 33.

[10] Anne-Françoise Cannella, Gemmes, verres colorés, fausses pierres précieuses au Moyen Âge. Le quatrième livre du “Trésorier de philosophie naturelle des pierres précieuses” de Jean d’Outremeuse, Liège, Université de Liège, 2006, p. 15.

[11] Edina Bozoky, « L’invention du passé liégeois chez Jean d’Outremeuse », dans Pierre Chastang [dir.], Le Passé à l’épreuve du présent : appropriations et usages du passé du Moyen Âge à la Renaissance, Paris, PUPS, 2008, p. 75.

[11] Louis Michel, Les Légendes épiques carolingiennes dans l’œuvre de Jean d’Outremeuse, Bruxelles, Palais des Académies, 1935.

[12] Louis Michel, Les Légendes épiques carolingiennes dans l’œuvre de Jean d’Outremeuse, Bruxelles, Palais des Académies, 1935.

[13] La partie de description de l’Orient, que l’on retrouve aux folios 79ra à 80vd, est une parfaite copie du Tresor de Brunetto Latini. Les seules distinctions sont d’ordre linguistique. Brunetto Latini, Li livres dou tresor, édition critique par Francis J. Carmody, Genève, Slatkine, 1975, p. 110-114.

[14] Florence Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles : pratiques, poétique, imaginaire, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 146.

[15] Marie-Paule Loicq-Berger, « Un autre Virgile. Le regard médiéval », Folia Electronica Classica, 21 (janvier-juin 2011), [en ligne]. http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/21/VirMed/Vir1.htm [Site consulté le 11 septembre 2020].

[16] Fernand Desonay, « Virgile selon Jean d’Outremeuse », artcit., p. 42-46.

[17] Bernard Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, Flammarion, 2011, p. 115-116.

[18] Pour donner suite à notre note sur les auctoritates, nous spécifions ici que ce ne sont pas seulement des œuvres anciennes. Des auteurs médiévaux comme Vincent de Beauvais et Martin d’Opava intègrent, dès le xiie siècle, le rang des auctoritates pour les auteurs qui leur sont postérieurs.

[19] Dès le XIIIe siècle, l’histoire commence à s’écrire en français pour répondre au besoin des laïcs qui ne lisaient plus le latin (Serge Lusignan, La Langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, Presses Universitaires de France, 2004, p. 17. Voir aussi Serge Lusignan, Parler vulgairement. Les intellectuels et la langue française aux xiiie et xive siècles, op.cit., p. 83).

[20] Les six âges du monde sont une division mise en place par saint Augustin. Il en fait la description très explicite dans sa Cité de Dieu (Augustin d’Hippone, Cité de Dieu, xxii, 30, 5). Les six âges du monde sont les suivants : « le premier âge jusqu’à Noé, le second âge jusqu’à Abraham, le troisième âge jusqu’à David, le quatrième âge jusqu’à la captivité de Babylone, et le cinquième âge jusqu’au Christ, dont la venue marquait le début du sixième et dernier âge. » Selon Bernard Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, op. cit., p. 149-150. Voir aussi à ce propos Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, Paris, Éditions du Seuil, 2014, p. 18-27. Jean d’Outremeuse suit cette périodisation, introduisant « quelques variations mineures » (Jacques Poucet, Le Virgile de Jean d’Outremeuse, Folia Electronica Classica, 22 (juillet-décembre 2011), [en ligne]. http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/22/Myreur/01Intro.htm [Site consulté le 16 septembre 2020]).

[21] Marie-Paule Paule Loicq-Berger, « Un autre Virgile. Le regard médiéval », artcit., [Site consulté le 16 septembre 2020].

[22] Eusèbe de Césarée fait la distinction entre chronique, qui fonctionne chronologiquement, et histoire qui se concentre sur le récit. Cependant, au Moyen Âge, la « distinction est le plus souvent ignorée : les deux termes apparaissent comme synonymes ou se complètent » (Marie-Claude De Crécy, Vocabulaire de la littérature du Moyen Âge, Paris, Minerve, 1997, p. 117). Plus précisément, sur les termes chronique et histoire dans le genre des histoires universelles, voir Kim Labelle, « Sources et autonomisation du savoir historique en français : l’exemple des récits autour d’Énée dans les histoires universelles médiévales », mémoire de maîtrise en études littéraires, Québec, Université Laval, 2018, p. 228-231. De fait, cela transparaît chez Jean d’Outremeuse, qui définit son œuvre comme une « chronique », puisqu’il fonctionne de façon chronologique, mais Jean de Stavelot, copiste de son ouvrage, le nomme Myreur des histors, prouvant que les deux termes étaient interchangeables à l’époque médiévale.

[23] Emmanuèle Baumgartner, « Les techniques narratives dans le roman en prose » dans Norris J. Lacy, Douglas Kelly et Keith Busby (dir)., The Legacy of Chrétien de Troyes, Amsterdam, Rodopi, t. 1, p. 170.

[24] Marie-Paule Loicq-Berger, « Un autre Virgile. Le regard médiéval », artcit., [Site consulté le 16 septembre 2020].

[25] Dominique Boutet, « Entre historiographie et roman épique : le Myreur des Histors de Jean d’Outremeuse », dans Catherine Croizy-Naquet et Philippe Logier [dir.], Histoire et roman : actes du colloque du Centre d’études médiévales et dialectales de Lille 3, Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, 1, 2 et 3 octobre 2002, Lille, Bien Dire et Bien Aprandre, 22 (2004), p. 71.

[26] Ibid., p. 72.

[27] Domenico Comparetti, Virgilio nel Medio Evo, Livorno, Coi Tipi di Francesco Vigo, 1872, 2 t., John Webster Spargo, Virgil the Necromancer. Studies in Virgilian Legends, Cambridge, Harvard University Press, 1934, André Vernet, « Virgile au Moyen Âge » Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 126ᵉ année, 4 (1982), p. 771-772 et Jan M. Ziolkowski et Michael CJ Putnam, The Virgilian Tradition. The First Fifteen Hundred Years, New Haven, Yale University Press, 2008.

[28] André Vernet, « Virgile au Moyen Âge », artcit., p. 764-765.

[29] On fait mention de Virgile dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, dans l’Otia imperiala de Gervais de Tilbury et dans l’Image du Monde de Gossuin de Metz (voir à ce propos Marie-Paule Paule Loicq-Berger, « Un autre Virgile. Le regard médiéval », artcit., [Site consulté le 16 septembre 2020]).

[30] Par exemple le Roman des Sept Sages, Cleomadès d’Adenet le Roi et Renart le Contrefait (Ibid.)

[31] Gossuin de Metz, L’image du monde de maître Gossuin, rédaction en prose, texte du manuscrit de la Bibliothèque nationale, fonds français no 574, avec correction d’autres manuscrits, notes et introduction par O. H. Prior, Lausanne et Paris, Payot, 1913.

[32] Ibid., p. 73.

[33] Ibid., p. 184-185.

[34] Ibid., p. 184.

[35] Pour un résumé du récit virgilien dans le Myreur, voir Jacques Poucet, Le Virgile de Jean d’Outremeuse, artcit., [en ligne]. http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/22/Myreur/01Intro.htm [Site consulté le 23 septembre 2020].

[36] On la retrouve dans l’édition d’Adolphe Borgnet et de Stanislas Bormans, édcit.

[37] Catherine Croizy-Naquet, « Traces de l’épique dans l’historiographie au xiiie siècle », dans Dominique Boutet et Camille Esmein-Sarrazin (dir.), Palimpsestes épiques. Récritures et interférences génériques, Paris, PUPS, 2004, p. 203.

[38] Dominique Boutet, « Entre historiographie et roman épique : le Myreur des Histors de Jean d’Outremeuse », artcit., p. 68.

[39] Ibid., p. 204.

[40] Ibid., p. 204-205.

[41] Jean d’Outremeuse, Myreur des histors, Bruxelles, KBR, 10455, fol. 64rb-64vc.

[42] Ibid, fol. 76v.

[43] Claude Gauvard, Alain de Libera et Michel Zink (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, Presses Universitaire de France, 2002, p. 682.

[44] La démesure est l’une des principales caractéristiques du héros épique. Il s’agit d’une attitude excessive, qui dépasse les bornes. Dans la chanson de geste, la dimension humaine du héros est davantage mise en avant que dans l’épopée antique, faisant en sorte que cette caractéristique de la démesure est souvent accompagnée du thème du rachat. Si le héros fait pénitence et se rachète pour sa démesure, il est perçu positivement, alors que si un personnage ne cherche pas à se repentir de sa démesure, il est perçu négativement.

[45] Jean d’Outremeuse, Myreur des histors, Bruxelles, KBR, 10455, fol. 62vd.

[46] Ibid.

[47] Ibid., fol. 65ra.

[48] Ibid, fol. 65vc.

[49] Pour les détails de la fin du récit, nous renvoyons à Jacques Poucet, Le Virgile de Jean d’Outremeuse, artcit., [en ligne]. http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/22/Myreur/01Intro.htm [Site consulté le 28 septembre 2020].

[50] Catherine Croizy-Naquet donne l’exemple de la démesure de Roland dont la démesure est saluée puisqu’elle est mise au service de Dieu (Catherine Croizy Naquet, « Traces de l’épique dans l’historiographie au xiiie siècle », artcit., p. 207).

[51] Ibid.

[52] Gossuin de Metz, L’image du monde de maître Gossuin, rédaction en prose, opcit., p. 184.

[53] Catherine Croizy-Naquet, « Traces de l’épique dans l’historiographie au xiiie siècle », artcit., p. 209.

[54] Kim Labelle, « Sources et autonomisation du savoir historique en français : l’exemple des récits autour d’Énée dans les histoires universelles médiévales », opcit., p. 9.

[55] Catherine Croizy-Naquet, « Traces de l’épique dans l’historiographie au xiiie siècle », artcit., p. 213.

[56] Jean d’Outremeuse, Myreur des histors, Bruxelles, KBR, fol. 62vc.

[57] Emmanuèle Baumgartner, « Les techniques narratives dans le roman en prose », artcit., p. 186.

[58] Jean d’Outremeuse, Myreur des histors, Bruxelles, KBR, 10455, fol. 76rb-vc

[59] Selon le Dictionnaire du Moyen Français, il s’agit d’un « art magique et divinatoire, fondé sur l’invocation des morts, des mauvais esprits, des démons, nécromancie » (« Nigromance », dans Atilf, cnrs, et Université de Lorraine, Dictionnaire du Moyen Français (1130-1500), [en ligne]. [Site consulté le 29 septembre 2020].

[60] Notamment dans l’Histoire ancienne jusqu’à César et dans la Bouquechardière de Jean de Courcy. Pour accéder aux textes, nous renvoyons à notre mémoire de maîtrise (Kim Labelle, « Sources et autonomisation du savoir historique en français : l’exemple des récits autour d’Énée dans les histoires universelles médiévales », opcit., p. 33-95 et 129-226).

[61] Nous l’avons mentionné, la biographie créative de Virgile est entrecoupée d’autres récits puisque l’auteur fonctionne de façon chronologique. Ce faisant, nous avons compté seulement les dialogues qui se trouvaient dans le récit virgilien et nous avons fait fi des discours directs rencontrés dans les autres parties.

[62] Emmanuèle Baumgartner, « Les techniques narratives dans le roman en prose », artcit., p. 187.

[63] Jean d’Outremeuse, Myreur des histors, Bruxelles, KBR, 10455, fol. 68vd.

[64] Nous avons constaté plusieurs similitudes entre la biographie créative de Virgile et le récit d’Ogier que l’on retrouve dans la partie carolingienne. Jean d’Outremeuse fait d’Ogier le fondateur de la ville de Liège et intervient abondamment dans son récit en l’agençant pour parvenir à ces fins. Les similitudes entre le récit virgilien et celui d’Ogier pourraient faire l’objet d’un prochain article.

[65] Dominique Boutet, « Entre historiographie et roman épique : le Myreur des Histors de Jean d’Outremeuse », artcit., p. 67-78.